Mieux comprendre l’Europe
L’Union Européenne est une construction unique et originale. Comment cela fonctionne ? Est-ce vraiment une Europe technocratique ? Les éléments de réponse ci-dessous .
I. Le triangle institutionnel européen : l’Union, les États et le peuple
Un triangle à plusieurs sommets
Depuis le traité de Maastricht, l’Union européenne dispose d’un cadre institutionnel communément appelé le triangle institutionnel, composé de la Commission, du Parlement européen (PE) et du Conseil de l’Union. Avec le traité de Lisbonne signé en 2007 , la liste comprend désormais le Conseil européen, la Cour de justice, la Banque centrale et la Cour des comptes. Toutes ont pour mission de « promouvoir ses valeurs, poursuivre ses objectifs, servir ses intérêts, ceux de ses citoyens et ceux des États membres.
Le détail ci-dessous, en reprenant l’analyse de Guillaume Courty et Guillaume Devin, dans La construction européenne, 2010.
La Commission a une grande mission
La Commission « promeut l’intérêt général de l’Union ». Dans ce cadre, elle a plusieurs missions: elle surveille l’application du droit communautaire par les États membres. C’est l’organe d’exécution de l’Union, à ce titre elle est responsable de la mise en œuvre et de la gestion des politiques engagées. Enfin elle soumet au Conseil des propositions et des projets de réglementation. La Commission assure donc des rôles administratifs, politiques et même diplomatique puisqu’elle représente l’ Union Européenne. Le président est désormais élu par le Parlement Européen sur proposition du Conseil européen. De même le collège des commissaires désignés par les gouvernements est soumis à un vote d’approbation du Parlement Européen.
Le Parlement : le côté démocratique de l’Europe
Le Parlement a pour mission de représenter les citoyens des États de l’Union. Cette institution qui dans un premier temps n’était qu’une instance consultative, a conquis progressivement sa place au sein de l’UE. En 1979, c’est la première élection des députés européens. Cela concernait à l’époque 410 sièges et aujourd’hui 736. Ils sont élus pour 5 ans et touchent depuis 2009 la même indemnité d’environ 6800 euros net par mois plus plusieurs indemnités et aussi une enveloppe pour rémunérer leurs assistants. Les parlementaires regroupés en 22 commissions discutent les propositions de la Commission.
Le gouvernement de l’Europe en quelque sorte
Le Conseil européen et le Conseil des ministres composent le pôle intergouvernemental du triangle institutionnel dont la position domine depuis l’ Acte unique de 1986. Au sommet de ce pôle, le Conseil européen est le principal organe politique de l’UE qui définit « les orientations et les priorités politiques générales ». Le traité de Lisbonne l’a doté d’un président élu pour deux ans et demi renouvelables une fois. Le Conseil est une formation des chefs d’États et de gouvernement dont le président de la Commission fait partie. Il découle de la consécration, en 1974, de la pratique des réunions au sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays membres. Il se réunit 4 fois par an et est considéré comme le véritable moteur de l’intégration européenne.
Le Conseil des ministres autrement appelé Conseil de l’Union européenne est le principal centre de coordination et de décision de l’UE. Il vote les lois européennes seul ou avec le parlement. Il est constitué par les ministres des États membres habilités à engager leurs gouvernements. Sa composition est originale car elle varie en fonction des dix formations constituées. Ainsi, les ministres de l’économie se réunissent mensuellement en Conseil « Ecofin », les ministres de la Justice le font tous les deux mois. Le Conseil des ministres est toujours présidé à tour de rôle par chaque État membre pour une période de six mois.
Pour approfondir sur les instituions européennes je te propose d’aller aux sources
Un vote à la majorité qualifiée
Dans une Europe à 27 la prise de décision peut-être complexe. Il faut prendre en compte le vote des représentants des États mais aussi le poids démographique de ces États. Ainsi, la majorité qualifiée n’est pas la majorité simple mais une majorité qui prend en compte le poids démographique de chaque État. Avec le traité de Lisbonne, en 2007, on a adopté la double majorité: ainsi une décision sera prise si les États favorables représentent 55% des États de l’UE (donc aujourd’hui si il y a plus de 13 ou14 États) et si la population de ces États représentent plus de 65% de la population de l’UE.
Il est temps maintenant de mieux cerner les relations entre l’Union européenne et les États
:
II. Comment s’articule les différents niveaux de décision en Europe ?
L’ Europe est-elle un « objet politique non identifié » selon la formule de J. Delors? Nous allons clarifier les situations.
A. Plusieurs acteurs participent à l’action publique
Action publique ou politique publique
Mais tout d’abord qu’est-ce qu’une action publique? Cela représente les activités menées par la puissance publique c’est à dire l’État central, les collectivités territoriales, et la gouvernance supranationale. Cela peut aussi être éventuellement des organisations internationales ou des acteurs privés travaillant en partenariat avec la puissance publique;
On peut considérer que la notion de ‘action publique’ est quasi synonyme de politique publique.
Le gouvernement multi-niveaux
La gouvernance multi-niveaux représente les actions coordonnées de l’Union Européenne, des États membres, des autorités régionales et locales visant à mettre en œuvre des politiques de l’Union. Le traité de Lisbonne clarifie le partage des pouvoirs entre l’Union européenne et les États membres. Il apporte une réponse à la question « Qui fait quoi ? » dans l’Union européenne, ce qui est un élément déterminant de la démocratisation de l’Europe, dans la mesure où cela renforce la responsabilité des différents niveaux de pouvoir.
Le partage des compétences entre l’Union européenne et les États membres est établi ainsi :
– L’Union dispose des compétences que les États lui attribuent dans le Traité de Lisbonne
– Toutes les autres compétences continuent d’appartenir aux États.
Ce « principe d’attribution » garantit que l’Union ne puisse étendre ses compétences aux dépens de celles des États sans leur accord. Le traité de Lisbonne prévoit éventuellement la possibilité de restituer des compétences aux États membres.
Quel type de compétence?
» Le traité de Lisbonne distingue trois grandes catégories de compétences.
Les compétences exclusives de l’Union dans les domaines où celle-ci légifère seule
Union douanière, établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, politique commerciale commune , conclusion d’un accord international
Les compétences partagées entre l’Union et les États membres
les États exerçant leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne : marché intérieur, politique sociale, pour les aspects définis dans le présent traité, cohésion économique, sociale et territoriale, agriculture et pêche, transports, espace de liberté, de sécurité et de justice, enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans le traité de Lisbonne, recherche et développement technologique, coopération au développement et aide humanitaire.
Les domaines où les États membres demeurent totalement compétents
La protection et amélioration de la santé humaine, industrie, culture, tourisme, éducation, formation professionnelle, jeunesse et sport, protection civile, coopération administrative »
Je rajouterais à ces trois catégories de compétence présentées par la Fondation Robert Schuman – Décembre 2007 www.robert-schuman.eu – que la politique fiscale est un domaine réservé de chaque pays. Pour autant, l’Union européenne s’engage à superviser les règles fiscales nationales pour que celles-ci ne rentrent pas en contradiction avec une harmonisation voulue par les 27 pays. Par exemple, la TVA (VAT en anglais ou IBA en espagnol) est encadrée par l’UE
Des États qui restent souverains
La gouvernance multi-niveaux permet de désigner les rapports entre des paliers de gouvernement qui ne se réduisent pas à une relation hiérarchique. Ainsi, dans l’Union Européenne, les États restent souverains et ne sont donc pas hiérarchiquement dépendant de l’Union Européenne. Par exemple l’intervention armée de la France au Mali décidée en 2013 est une belle illustration d’indépendance politique étrangère d’un État européen. Cependant ils sont intégrés dans l’UE, autrement dit ils s’engagent à accepter des règles européennes contraignantes.
B. Des compétences réparties entre l’Union européenne et les États membres
Le principe de subsidiarité
Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieur, ici l’Union européenne, ce que l’échelon inférieur, les États membres, ne pourrait effectuer que de manière moins efficace.
Ce principe a été introduit dans le droit communautaire par le traité de Maastricht. Cela implique deux choses; l’échelon le plus proche d’un problème en est responsable et d’autre part, si rien n’est entrepris au niveau inférieur, alors l’échelon supérieur se réserve le droit d’intervenir.
Comment s’appliquent le principe de subsidiarité ?
« Le principe de subsidiarité ne s’applique qu’aux questions relevant d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres, qui posent fréquemment des problèmes d’attribution. Il ne concerne pas les domaines relevant de la compétence exclusive de l’UE, ni ceux qui demeurent de la seule compétence des États
Ce principe, d’un côté, protège les compétences des États, mais de l’autre, permet l’intervention de l’Union Européenne si « les objectifs d’une action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante » par les États mais peuvent davantage l’être à son niveau
Enfin, il répond à un souci de démocratie, les décisions devant « être prises le plus près possible des citoyens » (art. 1 du traité sur l’Union européenne). »
Source: http://www.vie-publique.fr
Une autonomie politique des pays
Ainsi des mesures liées à la politique agricole peuvent être mises en place au niveau des États ou encore des régions ou localités sans nécessiter une concertation européenne.
La gouvernance multi-niveaux et le principe de subsidiarité sont à la base de l’organisation du pouvoir entre les différents niveaux de pouvoir européen. Ces principes devraient préserver une certaine autonomie politique aux pays de l’UE. Pourtant, on remarque que l’UE influe beaucoup sur les actions publiques nationales voire régionale.
III. L’Union Européenne influe la conduite de l’action publique
Prenons deux exemples
Premier document: « Les incitations des institutions européennes en matière familiale
Les institutions européennes, qui interviennent peu – subsidiarité oblige – en matière familiale, se font de plus en plus présentes et engageantes pour que les pays développent de meilleures modalités d’équilibre travail/ vie privée. La « conciliation » devient le maître mot européen des politiques familiales. Elles sont entraînées par les politiques pour l’égalité des sexes. (…) Les institutions européennes exercent donc une action limitée, mais croissante. Les institutions européennes ont établi quelques recommandations, non contraignantes, par exemple en 1992 sur la garde des enfants, et des directives avec des prescriptions minimales, par exemple en 1996 sur le congé parental.
Plus de services de garde d’enfants
Dès 1992, le Conseil européen a proposé aux États membres de prendre des initiatives afin de mettre en place des services de garde d’enfants, de prévoir une certaine souplesse dans l’organisation des congés, d’adapter l’environnement, les structures et l’organisation du travail aux besoins des travailleurs ayant des enfants, et d’encourager un partage plus égal des responsabilités parentales. Recommandations, prescriptions et invitations se font de plus en plus précises et ambitieuses. Ainsi, l’un des des objectifs définis au Conseil européen de Barcelone (2002) est de s’efforcer de mettre en place, d’ici 2010, des structures d’accueil pour 90% au moins des enfants ayant entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire et pour au moins 33% des enfants âgés de moins de trois ans. »
Source: Julien Damon, »Les politiques familiales dans l’Union européenne: une convergence croissante », Recherches familiales, UNAF n°5, janvier 2008
Deuxième document: »Européanisation des politiques publiques dans l’enseignement supérieur
En signant la déclaration de Bologne en 1998, (…) les 47 pays membres du Conseil de l’Europe (dont les 28 pays de l’UE) s’engagent à construire un espace européen de l’enseignement supérieur. Le processus de Bologne dépasse l’Union européenne. Mais celle-ci en est le moteur: grâce au système LMD mais aussi au crédit ECTS mis en place dans le cadre Erasmus (système de crédits qui permet aux différentes formations d’être sanctionnées par un diplôme de valeur équivalente), l’UE tente d’harmoniser son système universitaire. L’UE s’est également fixée de nouveaux objectifs à l’horizon 2020.
– faciliter la circulation d’un pays à l’autre au sein de l’espace européen de l’enseignement supérieur, pour y poursuivre des études ou y travailler.
– renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur européen afin qu’un grand nombre de personnes originaires de pays non européens viennent également étudier et/ou travailler en Europe.
– doter l’Europe d’un socle solide de connaissances de pointe de grande qualité, et veiller à ce que l’Europe se développe en tant que communauté pacifique et tolérante.
(….) Il appartient à chaque pays et à sa communauté universitaire de décider en toute liberté d’approuver ou de rejeter les principes (du processus). »
http://www.touteleuropse.eu 27 juillet 2013
L’influence des institutions européennes
Ces deux textes ci-dessus montrent bien une influence des institutions européennes sur les pays membres.
On comprend ainsi que le droit européen oriente et contraint parfois les pays membres à modifier leurs politiques publiques. Les institutions européennes peuvent émettre des recommandations. (pas d’obligation juridique), Mais d’une façon plus contraignante, il y a les directives européennes, c’est à dire les lois adoptées par le Conseil des ministres conjointement avec le Parlement européen et qui doivent être transposées dans le droit national. Le règlement européen est par contre une injonction d’application qui doit s’appliquer immédiatement.
En guise de conclusion
L’Union européenne est une construction originale. Elle répond à deux objectifs qui peuvent s’opposer. Tout d’abord une volonté d’élargir les compétences de l’UE. Mais aussi une volonté, manifestée par certains pays ou partis, de protéger les nations contre une trop grande centralisation européenne. Moins qu’une fédération mais plus qu’une confédération, moins qu’un État mais plus qu’une association de libre échange. L’Union Européenne est une figure en mouvement qui contribue de manière incertaine à la lente émergence d’un niveau supérieur de régulation.
Mise à jour : février 2022 @ Philippe Herry