« Croissance, croissance, est-ce que j’ai une gueule de croissance ? » En détournant les fameuses paroles d’Arletty dans le célèbre film Hôtel du Nord (1938), on met l’accent sur la question de la croissance économique. Qu’est-ce que c’est ? Comment mesure-t-on la croissance ? Quelles sont les sources de la croissance ? Est-il possible de concilier croissance et développement durable ? Toutes les réponses dans cet article ‘Cours SES croissance économique’. Vérifie tes connaissances avec le QCM à la fin.
Les notions du programme à connaître : croissance économique, facteur de production, Productivité Globale des Facteurs (PGF), progrès technique, innovation, destruction créatrice, croissance endogène, institution, droit de propriété, développement durable.
I. Comment mesurer l’activité économique ?
A. La croissance et le PIB
La croissance économique est « une augmentation soutenue pendant une ou plusieurs longues, d’un indicateur de croissance, le produit global réel » (François Perroux).
Sur le temps long, les deux derniers millénaires, nous pouvons repérer deux caractéristiques majeures de la croissance économique :
Pendant des siècles, l’histoire se caractérise par une quasi stagnation de la croissance économique. Les guerres, les famines, les maladies remettent périodiquement en cause une possible expansion. À partir de la fin du Moyen Âge apparaissent les premiers soubresauts d’une croissance économique. Mais c’est avec la Révolution industrielle, qui commence en Angleterre puis en France et se poursuit dans les ‘late-comers’ Allemagne et Amérique du Nord, que s’installe définitivement un mode de vie rythmé par la croissance économique, mais aussi les instabilités de cette croissance économique. Ainsi, le PIB mondial va être multiplié par 5 entre 1800 et 1940. Après la Seconde Guerre mondiale, pendant la période des 30 glorieuses, cette croissance va s’accélérer avant de connaitre de nouvelles instabilités depuis fin 1973.
Une croissance inégale dans le monde.
Depuis la Révolution Industrielle amorcée à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, les rythmes de croissance dans le monde se sont séparés. On distingue alors plusieurs groupes de pays. Si on reprend les dénominations de Angus Maddison, l’économiste britannique qui s’est spécialisé dans l’analyse comparative de la croissance, on peut établir une distinction par zone géographique. Ainsi les pays anglo-saxons et les pays européens ont connu les accélérations de la croissance économique depuis le XIXe. Les pays du Moyen-Orient et d’Asie de l’Est émergent depuis les années soixante-dix. La zone Afrique connait une accélération de la croissance économique depuis peu, mais avec des contrastes importants selon les pays.
Une croissance qui permet le développement
Il faut relire les extraits du livre de Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975, (1979), où il décrit les transformations du mode de vie à Douelle, un petit village du Quercy. Ainsi, la croissance économique va nourrir une augmentation du niveau de vie qui va transformer en profondeur le mode de vie de chacun.
La croissance permet la transformation de la société.
La croissance est un phénomène quantitatif qui permet le développement, autrement dit la transformation des modes de vie, des structures de la société. Le développement est un phénomène qualitatif.
Malgré le fait que la croissance soit un phénomène de longue période, elle se mesure à court terme avec le PIB.
Le saviez-vous ?
À l’origine du PIB
C’est Simon Kuznets, célèbre économiste américain qui a mis au point en 1934 cet indicateur synthétique. Il fallait à l’époque connaître l’ampleur des dégâts causés par la crise de 1929, c’est pourquoi le Congrès américain en a fait la demande. On comprend mieux pourquoi cet indicateur de croissance économique prend en compte essentiellement les productions marchandes créées.
Il fut utilisé en France pour la première fois après la seconde guerre mondiale, au moment où se met en place la comptabilité nationale. Depuis, il a gardé sa place d’indicateur officiel de la croissance économique !
B. Focus sur le PIB
Le Produit Intérieur Brut est un agrégat qui représente le résultat final de l’activité de production des résidents.
Le PIB mesure la richesse créée dans un pays.
On peut considérer les activités réalisées à l’intérieur du pays :
Valeurs Ajoutées + impôts sur les produits * – subventions sur les produits
* L’impôt sur les produits, c’est notamment la TVA ou encore l’impôt sur les produits énergétiques.
PIB : c’est la production marchande et non marchande
Comme tu le sais, l’essentiel de la production provient des entreprises. Mais cependant, qu’en est-il de l’éducation, de la santé… En effet, les services administratifs sont pris en compte. On estime par convention que leurs productions correspondent aux coûts de leurs productions.
Le PIB et la croissance
La croissance économique se définit par une augmentation soutenue de la production de biens et de services pendant une période longue. Mais pourtant, en pratique , pour calculer la croissance, nous utilisons le PIB qui se calcule donc sur un an.
PIB en parité de pouvoir d’achat
Mais comment comparer des PIB entre pays qui ont des monnaies différentes et des taux de change flottants ? En effet, on sait que le cours des monnaies dépend des marchés et fluctue constamment. La solution : calculer le PIB selon la parité du pouvoir d’achat (PPA) PIB ppa. On peut ainsi dire que la parité du pouvoir d’achat est une méthode qui permet de comparer les agrégats (souvent le PIB) de différents pays, sans que la comparaison soit affectée par l’évolution du taux de change. Pour te familiariser avec cette notion, je te conseille de jeter un coup d’œil sur la fiche.
Maintenant que tu sais définir et mesurer la croissance, abordons une question fondamentale : quels sont les facteurs de la croissance ?
II. Les sources de la croissance
Pourquoi certains pays se « développent » et d’autres non ? Comment expliquer le développement fulgurant de la Chine depuis les années quatre-vingt ? Inversement, pourquoi des problèmes persistent pour de nombreux pays africains ? Allons voir du côté des facteurs de production, autrement dit des ressources mises en œuvre pour produire des biens ou des services.
A. La combinaison du facteur travail et capital
Nous avons vu dans les thèmes économiques de première que les économistes raisonnent en faisant des modèles économiques, c’est-à-dire une représentation simplifiée de la réalité, basée sur des hypothèses. Jetons un regard sur les premiers modèles de croissance économique.
Q = f (K, N)
Depuis les économistes néoclassiques, on considère qu’il existe deux facteurs de production : le facteur capital et le facteur travail. L’économiste Solow a synthétisé cette idée par sa célèbre formule :
Q = f (K,N) avec Q représentant la production, K le capital et N le facteur travail.
Autrement dit, la production réalisée est le résultat des deux facteurs de production employés dans la combinaison productive (ce mot te rappelle des souvenirs de première, non ?), le facteur travail et le facteur capital.
Le facteur travail
Cela correspond à la quantité de travail utilisée pour produire des biens et des services. Le facteur travail peut correspondre au nombre de travailleurs multiplié par les heures de travail réalisées par chaque travailleur. Petit complément : le facteur travail est mécaniquement lié à la population active occupée. C’est-à-dire la population qui travaille ou qui cherche à travailler et qui n’est pas au chômage. Lorsque la population active augmente, cela a un effet d’entrainement sur la croissance. Les 2,5 millions d’immigrés en moyenne qui arrivent chaque année aux États-Unis sont un atout important pour sa croissance. Ainsi, on sent qu’il existe un lien entre la croissance démographique et la croissance économique.
Le facteur capital
Il représente selon les économistes néoclassiques le deuxième facteur de production qui permet de produire des biens et des services. Il correspond au capital fixe, c’est-à-dire au stock de biens durables destiné à être utilisé pendant au moins un an dans le processus productif. Concrètement, cela représente les bâtiments et l’ensemble des biens de production, y compris certains services comme les logiciels. Nous rappelons que le capital fixe qui est un stock se renouvelle grâce à la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF) qui est un flux. Cette notion définie par l’INSEE mesure finalement l’investissement.
Mais le facteur travail et le capital ne sont plus les facteurs essentiels de la croissance économique.
B. Le progrès technique, moteur essentiel de la croissance aujourd’hui
Dans nos économies modernes, il est nécessaire de faire la distinction entre la croissance extensive et la croissance intensive.
La croissance extensive
La croissance extensive correspond à la croissance liée à l’augmentation des facteurs de production. Prenons l’exemple cité ci-dessus des 2,5 millions d’immigrants aux États-Unis chaque année. Cela crée mécaniquement un facteur travail supplémentaire, facteur de croissance. Mais dans nos économies modernes, la croissance est principalement intensive.
La croissance intensive
La croissance intensive est liée au progrès technique, c’est-à-dire une augmentation des quantités produites sans augmentation du facteur capital ou travail employé. On peut ainsi considérer que cela correspond à l’ensemble des innovations. On peut dire aussi, en reprenant la définition de Guellec et Ralle, que le progrès technique est « l’invention de produits et procédés nouveaux qui augmentent le bien-être des individus soit par un accroissement, soit par une transformation de la consommation ».
Le progrès technique et la PGF
Le progrès technique correspond à l’ensemble des éléments qui améliorent l’efficacité des facteurs de production. Il est à l’origine de l’augmentation de la productivité globale des facteurs. Plus précisément, on peut dire que la Productivité Globale des Facteurs (PGF) correspond au volume de production réalisé, rapporté à l’ensemble des facteurs de production utilisés. Finalement, la croissance de la PGF permet de repérer la part de la croissance de la production qui n’est liée ni au facteur travail ni au facteur capital. La PGF est donc en partie une mesure statistique du progrès technique, mais pas que… Par exemple, la PGF peut s’expliquer par l’éducation ou la confiance des citoyens dans le progrès ou autre chose… Avant d’aller plus loin, je te laisse te pencher sur ce tableau statistique ci-dessous, un graphique très classique en SES, pour tenter de faire comme il se doit les phrases types avec les chiffres et repérer le poids de la PGF dans la croissance de différents pays. Si tu as des doutes sur tes réponses, envoie un mail en précisant bien de quoi il s’agit.
Taux de croissance annuels moyens (en %, 1985-2009) et contribution des facteurs à cette croissance
PIB |
Facteur capital |
Facteur travail |
Productivité globale des facteurs (**) |
|
Allemagne |
1,1 |
0,5 |
-0,3 |
0,9 |
Corée du sud |
6,1 |
1,7 |
0,6 |
3,8 |
Espagne |
2,9 |
1,2 |
1,3 |
0,4 |
Etats-Unis |
2,6 |
0,9 |
0,7 |
1,0 |
Finlande |
2,1 |
0,5 |
-0,2 |
1,8 |
France |
1,9 |
0,7 |
0,0 |
1,1 |
Japon |
2,0 |
0,9 |
-0,4 |
1,5 |
Source : OCDE, 2010.
(*) Les totaux des données des colonnes 3, 4 et 5 peuvent ne pas être égaux aux données de la colonne 2 en raison des arrondis.
(**) L’OCDE la qualifie également de « Productivité multifactorielle ».
Mais si aujourd’hui, le progrès technique et l’innovation sont le moteur central de la croissance, comment les pouvoirs publics peuvent-ils inciter les acteurs privés à innover ?
III. Le pouvoir de l’innovation
Une vision large de l’innovation
L’économiste autrichien Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) a laissé sa trace dans l’histoire économique, comme celui qui a montré l’importance des innovations dans la croissance économique. L’innovation peut se définir comme une nouvelle combinaison des facteurs dans la fonction de production. Mais Schumpeter a une vision large des innovations. Selon lui, l’innovation comprend des innovations de produits et de procédés, autrement dit de nouvelles techniques de production, mais aussi des nouvelles formes de gestion de l’entreprise, des nouveaux marchés ou enfin des nouvelles sources de matières premières.
Quelques illustrations d’innovations
Ainsi, les innovations comprennent par exemple de nouveaux mobiles plus performants ou des voitures électriques qui peuvent parcourir de plus longues distances, mais aussi une nouvelle façon de produire ou de commercialiser, par exemple avec l’e-commerce, mais ce sont aussi les nouveaux modèles économiques liés aux plateformes numériques, ou encore l’utilisation de nouvelles matières premières, comme le développement à grande échelle de la géothermie.
La destruction créatrice
Schumpeter a une vision dynamique de l’économie. Il considère qu’il existe des cycles économiques, alimentés par des innovations qui génèrent un potentiel de productivité, de croissance. Puis, lorsque ces effets se font moins sentir, il apparait de nouvelles innovations alimentant un nouveau cycle de croissance. Il y aurait, selon Schumpeter, des vagues de cycles longs correspondant à environ une quarantaine d’années. Schumpeter s’appuyait sur les travaux de l’économiste russe Kondratiev. Aujourd’hui, la Recherche & Développement qui s’est développée et routinisée dans de nombreux secteurs a réduit la durée de ces cycles longs.
Le saviez-vous ?
Kondratiev
Kondratiev (1892/1938) est un économiste russe qui a travaillé sur les rythmes économiques et ses travaux l’amènent à mettre en avant des cycles économiques dans les sociétés capitalistes. Ces travaux ne plaisent pas du tout à Staline, puisqu’ils préfigurent l’idée qu’après la Grande Dépression d’après 1929, les pays capitalistes, ennemis jurés de l’URSS, pourraient retrouver une période d’expansion et de prospérité. Condamné à la déportation dans les goulags sibériens, Kondratiev meurt fusillé en 1938.
Des capitaines d’industries
Schumpeter place donc les entreprises et les entrepreneurs, véritables capitaines d’industrie capables de prendre des risques pour innover, au cœur du processus de croissance économique. Les entreprises sont poussées à innover pour obtenir une situation de monopole avant d’être copiées par d’autres entreprises, ce qui va les inciter à innover. Le capitalisme se caractérise ainsi par un cycle perpétuel de destruction créatrice c’est-à-dire un processus qui « révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ».
Pour autant, à l’époque de Schumpeter, l’apparition des innovations n’est pas vraiment modélisée. C’est un facteur exogène, créateur de croissance. Cette vision des choses va changer à la fin des années soixante-dix avec les économistes américains de la croissance endogène.
IV. La croissance endogène
La croissance endogène, qui est liée au progrès technique endogène, est une nouvelle théorie dans la lignée des travaux des économistes américains Paul Romer, Robert Barro ou encore Robert Lucas, qui intègrent quatre facteurs explicatifs de la croissance, les rendements croissants et les externalités positives comme l’intervention de l’État, la Recherche & Développement et l’accumulation de capital humain. Pour les besoins du programme, on pourra dire que le progrès technique endogène s’autoentretient grâce à la motivation des entreprises pour réaliser des bénéfices, mais aussi à celle de l’État qui crée les conditions d’une croissance endogène en recherchant l’intérêt général.
La recherche de profit par les entreprises est porteur de rendements croissants.
Les rendements croissants ? Il faut se rappeler ce qu’on appelle la loi des rendements décroissants vue en première. Lorsqu’on augmente un facteur de production, l’autre facteur restant fixe, la productivité marginale (le rendement marginal) diminue. Ainsi, pour reprendre l’exemple de Ricardo, lorsque les premiers agriculteurs s’installent, ils récupèrent les terres les plus fertiles et, au fur et à mesure que les besoins agricoles augmentent, les nouveaux agriculteurs s’installent sur de nouvelles terres moins fertiles, donc moins productives. La loi des rendements croissants, c’est l’inverse. La quantité de production augmente plus que proportionnellement à la quantité de facteur de production supplémentaire utilisée. En effet, nos nouvelles économies ont modifié les lois qui semblaient ‘naturelles’ aux économistes néo-classiques. Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle économie, que certains qualifient d’économie de l’information. Ainsi, la diffusion des nouveaux savoirs, les logiciels, les nouveaux procédés de production ont des rendements croissants.
Les entreprises vont créer des externalités positives.
Rappelons que les externalités ou effets externes sont les conséquences positives (ou négatives) d’une action économique sans que cela soit pris en compte par le marché. C’est l’exemple donné par l’économiste anglais James Mead (1907/1995) : un apiculteur peut produire beaucoup d’externalités positives aux agriculteurs environnants grâce à la pollinisation des plantes. Or il s’avère que dans nos économies modernes, on peut inciter à la création d’externalités positives. Prenons le cas simple des technopoles. Le regroupement des entreprises dans un certain périmètre crée des synergies favorables à la croissance économique.
Le soutien de la recherche par l’État, est porteur de productivité endogène.
Si l’État ou la zone économique crée des incitations à la recherche par des déductions fiscales ou des subventions, alors on comprend que le gain de croissance économique réalisé est directement lié aux efforts réalisés. C’est ce que montraient notamment les travaux de l’économiste Paul Romer dans les années 80. La R&D se diffuse rapidement et provoque ainsi des rendements croissants. C’est pour cela que l’on parle alors de croissance endogène.
L’État renforce le capital humain
Il représente l’ensemble des connaissances et des savoir-faire d’un individu. On comprend aisément que plus l’État investit dans l’éducation, plus il a de chance d’avoir des travailleurs qualifiés qui vont participer à une croissance économique plus soutenue. Finalement, le capital humain est une donnée endogène puisqu’il est auto-entretenu par les institutions publiques. Ainsi, l’économiste Robert Lucas montre que l’accumulation du capital humain a un effet externe positif qui s’autoalimente. C’est donc en cela que l’on a affaire à une croissance endogène.
L’État renforce les infrastructures publiques et induit un progrès endogène.
Un autre économiste américain, Robert Barro, montre que les infrastructures publiques peuvent faciliter la croissance. Pour illustrer les infrastructures publiques, on pourra prendre en compte les moyens de communications avec un large accès à des routes entretenues et faciles d’accès. Mais aussi un réseau de transports publics qui facilite les liaisons. Ou encore une diffusion d’Internet à tout le territoire. Ce faisant, l’État soutient l’effort économique en mettant en place l’infrastructure qui permettra le développement des entreprises. L’État est donc porteur de croissance endogène.
Finalement, les théories de la croissance endogène permettent de mettre en avant tout ce qui peut favoriser l’innovation et ainsi la croissance économique. Les théories de la croissance endogène permettent d’expliquer en partie le retard de développement de certains pays qui n’ont pas mis en place les structures permettant l’émergence d’innovations et l’adoption et la diffusion de celles-ci par les entreprises.
Parmi les institutions majeures qui favorisent les innovations, on retrouve les droits de propriété.
V. Le rôle des institutions et des droits de propriété
Douglas North (1920-2015), célèbre économiste américain, considérait que les institutions sont des « contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines ». Autrement dit, c’est l’ensemble des règles formelles ou informelles qui organisent la société et qui s’imposent aux individus. Par exemple, les lois, les règlements, les codes représentent les institutions formelles alors que les normes sociales, les valeurs, les habitudes, les routines, représentent les institutions informelles. Les institutions permettent de stimuler fortement la volonté des entrepreneurs de créer des innovations et, plus globalement, les institutions véhiculent un climat économique propice à réaliser ou non des affaires. Se faisant, on comprend que les institutions ont donc un rôle clé dans la croissance économique.
Des règles juridiques
Les règles juridiques encadrent le fonctionnement des entreprises. Par exemple, la croissance d’une entreprise nécessite des capitaux financiers. Avec la naissance des Sociétés Anonymes règlementées en France en 1867, de nombreuses entreprises vont pouvoir prendre leur essor et participer ainsi à la croissance économique du pays.
Les droits de propriété
Parmi, les institutions formelles qui favorisent la croissance économique, on retrouve les droits de propriété. Pour définir les droits de propriété, on reprend traditionnellement la formule latine Usus, Frutus, Abusus.
Ainsi, le droit de propriété permet de disposer d’un actif (usus), de gagner des revenus (fructus) et d’en jouir comme nous semble, et notamment de le vendre (abusus).
Des droits de propriété bien définis permettent ainsi de protéger les inventeurs. Cela se fait grâce aux brevets ou aux Copyrights. C’est donc une forte incitation à innover puisque le dépôt des brevets peut permettre l’exploitation financière de l’innovation en évitant le piratage, la contrefaçon illégale.
Les institutions informelles
Les règles informelles sont plus difficiles à mesurer, mais elles s’expliquent très bien. Si certaines valeurs, comme le travail, l’obéissance, la tolérance, le respect de l’autre, sont partagées par un grand nombre de citoyens, alors ces institutions informelles sont facteur de croissance économique. C’est facile à comprendre. Il est plus facile de commercer dans un pays où les citoyens se font confiance et savent que les contrats seront honorés sans tricherie. De même, si un chef d’entreprise embauche une personne, il espère que celle-ci va bien remplir le contrat pour lequel il a été embauché. Dans les pays où il y a plus de doutes, de tricheries, de manques de confiance, alors la croissance est plus faible.
Nous avons vu ci-dessus les sources de la croissance économique. Je te propose de terminer ce chapitre, en se penchant sur deux défis de la croissance : la création d’inégalités de revenus et la compatibilité difficile à réaliser entre croissance et environnement.
VI. Le progrès technologique à l’origine des inégalités de revenus
Des sources d’inégalités multiples
La question est complexe. En effet, les sources d’inégalités sont multiples. Il est évident notamment, que l’intervention plus ou moins importante des institutions publiques pour redistribuer les revenus va impacter les inégalités de revenus. Dans les pays où l’État corrige peu les inégalités en imposant les plus riches et en subventionnant les plus pauvres, alors inévitablement les écarts de richesse seront conséquents. D’autre part, les inégalités de revenus sont aussi les conséquences des échanges internationaux. Les travailleurs qui sont fortement concurrencés par des pays où la main d’œuvre est moins chère, ne pourront pas obtenir les augmentations désirées. Par contre, les autres travailleurs du pays protégés de la concurrence et sur des marchés innovants verront leurs pouvoirs d’achat augmenter. Nous venons donc d’isoler ici deux sources d’inégalité de revenu. Mais il s’agit de comprendre autre chose dans le programme de SES que l’on te propose : la corrélation entre progrès technique et inégalités de revenu.
Progrès technique et inégalités de revenu
En effet, l’impact du progrès technique peut être biaisé dans le sens où il facilite la substitution capital travail qui concerne les travaux moins qualifiés qui réalisent des tâches routinières, et inversement, il favorise l’emploi et les augmentations de revenus des travailleurs qualifiés qui augmentent leur productivité grâce à la complémentarité du capital. C’est le cas typique des Ouvriers Spécialisés (OS) qui obtiennent difficilement des augmentations de revenus, car on peut les remplacer par des robots, alors qu’inversement, les ouvriers qualifiés qui manipulent notamment les Machines à Commandes Numériques (MCN) sont plus recherchés. Ils peuvent obtenir de meilleurs salaires. Mais les inégalités de salaires seront bien sûr plus accentuées avec les ingénieurs, les managers, les cadres dirigeants qui pourront obtenir des augmentations salariales et des primes plus substantielles.
Plus d’argent pour les entrepreneurs et les talents
Les inégalités de revenus à cause du progrès technique sont accentuées par le fait que les gains de productivité induits par les progrès techniques favorisent plus les innovateurs, les entrepreneurs Schumpeteriens. Ainsi, parmi les premières fortunes mondiales, on retrouve les fondateurs d’Amazon, Facebook, Microsoft ou Alibaba en Chine. Mais de plus, grâce aux effets de réseau accentués avec le numérique, les superstars vont multiplier leurs gains et accentuer considérablement les écarts de revenus.
Des inégalités de revenus entre territoires
Nous savons depuis, notamment les travaux de l’économiste contemporain américain, Paul Krugman, qu’il existe une polarisation des activités économiques. Ainsi, la concentration d’activités innovantes sur un territoire attire d’autres activités à forte rémunération, au détriment d’autres territoires délaissés. De nombreux documents permettent d’illustrer cette idée tant au niveau national, avec par exemple les inégalités de revenus entre l’Ile de France et les autres régions, qu’au niveau international, avec de fortes inégalités de revenus entre les pays innovants et les pays pauvres.
Le saviez-vous ?
Jean Tirole
Prix Nobel 2014
Jean Tirole était peu connu du grand public jusqu’à son Prix Nobel en économie reçu en 2014. Je devrais dire plus précisément le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques, puisque Monsieur Nobel n’avait pas jugé bon de créer un Prix en économie. Pour revenir à Jean Tirole, il fait partie des auteurs qui se sont intéressés à ce qu’on nomme l’économie industrielle, et qui, contrairement à ce qu’indique le nom, ne concerne pas que le monde industriel, mais traite des structures de marché, des formes de concurrence, ce qui permet ainsi d’en déduire les comportements des acteurs.
Les effets de réseau
Or il s’avère qu’au début des années 2000, Jean Tyrole a travaillé sur la « nouvelle économie numérique » et il a constaté les effets de réseau, c’est-à-dire que plus une plateforme Internet génère de visites et plus elle sera efficace. Ce type de marché lié à Internet génère donc des concentrations, ce qui par la force des choses crée des inégalités de revenus. Il n’est pas étonnant ainsi de voir parmi les hommes les plus riches de la planète les fondateurs de plateformes qui forment des quasi-monopoles. Je veux parler de Jeff Bezos, patron d’Amazon et homme le plus riche du monde, Bill Gates…
VII. La croissance peut-elle être soutenable ?
A. L’impact négatif de l’humain sur la nature
Une brève histoire de l’humanité
B. L’innovation : une solution pour reculer les limites ?
L’impact négatif de l’homme sur la nature, ce n’est pas nouveau !
Le problème de l’épuisement des ressources naturelles, lié à la croissance des besoins humains, n’est pas nouveau. Au fond, c’est déjà la question que se posait R. Malthus lorsqu’il analyse maladroitement les risques d’une surpopulation de la planète. Ricardo, également en reprenant l’hypothèse de la loi des rendements décroissants, envisage une croissance stationnaire à terme. Mais ce n’est qu’en 1972 que le problème va avoir un retentissement mondial avec le rapport Meadows ou rapport sur les limites de la croissance. Le Club de Rome, un groupe de réflexions composé de scientifiques et d’intellectuels, demande à une équipe de l’université du MIT aux États-Unis d’analyser les limites à la croissance. Or, contre toute attente, les économistes, et notamment le couple Meadows, émettent l’idée qu’il faudrait tendre vers la croissance zéro pour faire face à la rareté grandissante des ressources naturelles.
Le développement durable
Les catastrophes naturelles qui vont subvenir par la suite ainsi que les gaspillages et l’appauvrissement des ressources naturelles vont faire émerger une prise de conscience du problème environnemental. Mais, contrairement à l’idée d’une croissance zéro, on a cherché à comprendre sous quelles conditions croissance et environnement pouvaient aller de pair. Cette problématique a été popularisée par l’approche en termes de développement durable. La notion de développement durable, on dit encore ‘soutenable’ de l’anglais ‘sustainable’, a été introduite par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par la Première ministre Gro Harlem Brundtland, une femme politique norvégienne. Elle a présenté le rapport du même nom baptisé Notre avenir à tous. Ce rapport permet d’esquisser la notion de développement durable ou soutenable. C’est un développement qui répond aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.
Le premier sommet de la Terre
Le développement durable se pense en 1992 et on le formalise en 2000 avec les Objectifs du millénaire pour le développement sous la formule des 3 P, People, Planet, Profit. Cela laisse présager 3 dimensions :
Un concept et des divergences d’opinions
Le concept de développement durable réunit des personnes qui ont des conceptions différentes du concept, voire divergentes. En fait, il y a des divergences d’opinions très fortes autour de la possibilité de substituer ou pas du capital produit aux ressources naturelles.
Les tenants de l’écologie profonde ou soutenabilité forte
Il ne faut pas puiser dans l’environnement naturel. La nature a une valeur indépendante des besoins humains et il faut une protection absolue. Il faut ‘sanctuariser’ la nature. Se faisant, ils accordent un poids très fort aux générations futures au détriment de la génération actuelle qui ne doit pas puiser dans le stock de ressources naturelles. Nous retrouvons ici notamment ceux qui défendent la décroissance, car inévitablement l’homme puise trop dans la nature.
Les écocentristes
À l’opposé, on retrouve les écocentristes ou ceux qui sont favorables à la soutenabilité faible. Selon eux, on peut substituer du capital technique au capital naturel, notamment grâce aux innovations et progrès techniques qui en découlent. Ainsi, lorsque le pétrole va se raréfier, d’autres ressources énergétiques se substitueront aux énergies carbonées. Comme tu le sais, nous développons la production d’énergie verte, c’est-à-dire des énergies propres et renouvelables. Il s’agit notamment de l’éolien, le solaire, l’énergie hydraulique ou l’énergie géothermique.
Les innovations vertes
Les innovations et notamment les innovations vertes vont permettre de limiter l’impact de l’homme sur la nature. Pour autant, le marché ne parvient pas à orienter efficacement les comportements des agents. Pour éviter les externalités négatives, les pouvoirs publics doivent intervenir pour inciter à réduire la pollution. Tu pourras alors compléter tes connaissances avec le thème sur l’environnement. Tu verras que les pouvoirs publics peuvent réglementer, mettre des taxes, subventionner, voire mettre en place un marché des droits à polluer.
Vers la sobriété
En complément du soutien à l’innovation verte, des modifications de notre mode de vie sont cependant inévitables. Nous devons avoir un mode de vie plus sobre. Cela passe aujourd’hui par la transmission de valeurs et de normes. On retrouve ainsi les institutions informelles et le rôle central de l’éducation.
QCM (entre 0 et 3 réponses possibles)
Corrigé à la fin de l’article.
1) La croissance économique est
a. lié au PIB b. un phénomène quantitatif c. extensive ou intensive
2) Aujourd’hui, la croissance économique est
a. essentiellement extensive
b. ralentie par les crises
c. soutenue par les innovations
3) La croissance endogène
a. reprend l’idée du modèle de Solow.
b. est un phénomène cumulatif et autoentretenu.
c. est liée aux rendements d’échelle décroissants.
4) L’innovation
a. est une dynamique de croissance selon Schumpeter.
b. peut être liée par exemple à de nouveaux procédés de fabrication.
c. peut être liée par exemple à de nouvelles formes de gestion de l’entreprise.
5) Les institutions formelles
a. entretiennent l’innovation.
b. sont par exemple les droits de propriété.
c. sont liées à des valeurs et normes partagées par les membres de la société.
6) Le progrès technique
a. favorise l’homogénéisation du pouvoir d’achat.
b. augmente les revenus des travailleurs moins qualifiés.
c. élargit la différence de revenus entre travailleurs qualifiés et moins qualifiés.
7) Les innovations vertes
a. permettent de limiter l’impact de l’homme sur la nature.
b. sont une solution aux limites écologiques dans une logique de soutenabilité forte.
c. permettent d’éviter des externalités négatives.
MAJ juin 2024 @ Philippe Herry
Corrigé du QCM sur ‘Cours SES croissance économique’
1) a. b. c
2) b. c
3) b
4) a. b. c.
5) a. b.
6) c.
7) a. c