La concurrence peut être considérée comme une situation optimale pour la société dans son ensemble. Pour autant, rationnellement, les producteurs cherchant à augmenter leurs surplus vont souhaiter échapper à la concurrence. On considère une situation de concurrence imparfaite lorsque une des cinq conditions au moins de la concurrence parfaite ou pure et parfaite n’est pas vérifiée. Nous allons voir dans une première partie les stratégies des acteurs pour échapper à la concurrence. Mais nous verrons aussi dans une deuxième partie que parfois le monopole est une situation optimale ou socialement acceptable. Il s’agira alors, pour finir, de voir comment l’État peut intervenir pour réguler des marchés imparfaits.
Les notions essentielles du thème (définies dans l’article) : concurrence imparfaite, pouvoir de marché, barrière à l’entrée, monopole naturel, monopole institutionnel, monopole d’innovation, oligopole, dilemme du prisonnier, concentration d’entreprise, abus de position dominante, fusion-acquisition
I. Les principales sources de pouvoir de marché
Il faut imaginer, qu’il existe des forces de marché qui constamment interagissent. C’est à travers ce processus dynamique que des entreprises arrivent à garder un pouvoir de marché c’est-à-dire la capacité pour une entreprise de pouvoir influencer le prix du bien concerné (price-maker) ou les quantités échangées sur le marché.
Quelles sont les stratégies mises en œuvre ?
A. Des stratégies visant à limiter le nombre de concurrents sur le marché.
L’objectif est clair : éliminer les rivaux et/ou les dissuader d’entrer sur le marché en plaçant par exemple des barrières à l’entrée, c’est-à-dire des obstacles à la concurrence. Juste une petite remarque avant de continuer : il ne faut pas imaginer que dans nos sociétés ces stratégies sont considérées comme des vilénies ou de basses manœuvres. Bien au contraire, toutes ces stratégies s’apprennent par exemple en école de commerce et se rémunèrent fort bien. Si cela t’intéresse, alors il faudra voir du côté des cours de marketing, notamment.
Revenons à notre question qui est : comment empêcher légalement des rivaux d’entrer sur le marché ? Il existe plusieurs façons de faire, lorsqu’on est sur un marché.de type oligopolistique, c’est à dire qu’il y a quelques offreurs pour une multitude de demandeurs.
La guerre des prix
Lorsqu’une entreprise (et l’équipe dirigeante) pense qu’ils pourront à terme obtenir le marché, alors l’entreprise fixe sa production et la guerre des prix va permettre de réduire la concurrence.
Cette guerre des prix peut sembler une compétition saine sur un marché concurrentiel. Toutefois, les institutions devront contrôler voire sanctionner les pratiques interdites comme le dumping, c’est-à-dire la vente à perte. L’idée est de vendre à court terme en-dessous de son prix de production pour éliminer la concurrence, puis plus tard rester dans une position de quasi monopole qui permettra de monter les prix de vente.
Un jeu coopératif
Make love not war 🙂 J’ai repris ce beau slogan des années hippies pour montrer que les producteurs peuvent rationnellement considérer qu’il est plus opportun de s’entendre en faisant un jeu coopératif que d’enclencher une guerre des prix fratricide. L’entente nécessite une certaine confiance avec les autres producteurs. On rentre alors dans le jeu passionnant du Dilemme du prisonnier.
C’est le mathématicien américain Albert William Tucker qui est à l’origine de ce jeu.
Le jeu du prisonnier
Supposons deux suspects enfermés dans des cellules sans pouvoir communiquer. Les autorités font différentes propositions aux prisonniers.
– Si les deux prisonniers se taisent, chacun écope de 1 an de prison.
– Si un prisonnier dénonce l’autre et que l’autre se tait, alors le premier est libre et le second écope de 3 ans de prison.
– Si les 2 prisonniers se dénoncent mutuellement, alors ils écopent de 2 années de prison.
On comprend dès lors que chaque prisonnier, ne connaissant pas la stratégie de l’autre prisonnier, a intérêt à dénoncer l’autre. S’il ne le faisait pas, il pourrait obtenir jusqu’à 3 années de prison. Les deux prisonniers rationnels vont donc écoper chacun de 2 années de prison, ce qui n’est pas la meilleure des solutions collectives. En économie, on dit qu’il s’agit d’une solution sous-optimale.
Le dilemme du prisonnier est donc un exemple de jeu qui montre que des choix rationnels peuvent aboutir à une situation sous-optimale
Le saviez-vous ? La théorie des jeux et l’économie Il peut vous paraître étonnant de voir apparaître dans le champ de l’économie une référence à des jeux. Et pourtant, cela permet de rendre compte de situations où les acteurs rationnels vont prendre des décisions en interaction avec les autres, et ils sont conscients des changements provoqués par ces interactions. À partir de là, la nouvelle microéconomie, née à la fin des années 1970, peut élaborer de nouveaux modèles plus réalistes, notamment lorsqu’il n’y a que quelques acteurs sur le marché, en prenant en compte des jeux non coopératifs ou coopératifs. |
B. Des stratégies visant à différencier le produit ou à innover.
L’idée est de proposer un produit qui est unique ou qui semble unique. Il ne peut pas être concurrencé, car il est sur un marché différent. Là encore, on peut gagner beaucoup d’argent si on applique bien ce type de technique appris en école de commerce. Nous ne faisons pas de marketing. Mais sache que la différenciation du produit peut porter sur plusieurs caractéristiques. On peut distinguer les caractéristiques du produit en lui-même, avec par exemple des options ou des formes ou des couleurs attractives. La différenciation peut aussi porter sur l’emballage, le packaging, le service après-vente, mais surtout la renommée, la marque du produit et donc la publicité, le paiement d’influenceurs, etc.
Au-delà, on peut aussi développer la recherche et développement (R&D) pour proposer une innovation, c’est-à-dire la mise en valeur économique d’une invention. Cela permet d’obtenir temporairement un monopole c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul offreur et une multitude de demandeurs. Mais nous allons développer cela ci-dessous.
II. Le monopole : toujours un mal ?
A. La situation de monopole n’est pas un optimum social pour la société.
La situation de price-maker ne profite pas aux consommateurs. Ce n’est donc pas un optimum social. Le graphique ci-dessous permet d’illustrer les pertes sèches subies par le consommateur, mais également par la société.
Avec la situation de monopole, l’entreprise est price-maker et peut ainsi se permettre de proposer un prix plus élevé. Ce qui engendre un surplus moins élevé pour les consommateurs. L’entreprise en situation de monopole va pouvoir, par contre, profiter d’un surplus plus important. Mais comme le montre le graphique, cela engendre une perte sèche, ce qui permet de dire que le monopole est sous-optimal dans son ensemble.
B. Le monopole peut dans certains cas être source d’avantages.
En son temps, l’économiste autrichien Joseph Alois Schumpeter (1883/1950) avait vanté les mérites du monopole. Il est en effet créateur d’innovations et donc de croissance économique. Nous allons retrouver ci-dessous le raisonnement, mais aussi d’autres exemples de situations monopolistiques avantageuses.
Le monopole d’innovation
Le monopole d’innovation correspond à la situation d’une entreprise qui profite d’une rente de situation grâce à une innovation et la protection de cette innovation liée au dépôt d’un brevet. À priori, cela ne semble pas profiter à la société, comme on l’a vu ci-dessous. Les prix seront plus élevés et la demande moindre qu’en situation de concurrence. Pour autant, des économistes comme Schumpeter ont mis l’accent sur le fait que grâce à cette rente de situation, les monopoles vont pouvoir dégager plus de profit qu’en période de concurrence. Cela a pour avantage de dépenser plus en recherche et développement. Au final, cela crée les conditions de nouvelles innovations porteurs de croissance économique.
Le monopole naturel
Le monopole naturel correspond au cas typique des secteurs d’activité qui nécessitent au préalable un investissement important avant d’obtenir les premières unités de production. Par exemple, avant de profiter d’un réseau de chemin de fer qui va quadriller le pays, il est nécessaire de faire des efforts financiers colossaux pour poser les voies et construire les locomotives notamment. Par contre, les coûts fixes réalisés dans un premier temps permettront après de fournir une production de transport, qui, au fur et à mesure qu’elle prendra son essor, permettra de réduire les coûts.
La loi des rendements décroissants
En terme économique, cela s’appelle la loi des rendements croissants. Cela signifie que lorsque la production s’accroît, les coûts unitaires, autrement dit de la dernière unité produite, sont décroissants. On dit encore qu’il y a économie d’échelle. Il te faut bien sûr faire des exercices avec calculatrice et crayon pour ancrer ce raisonnement. Ainsi, dans certains secteurs avec rendement d’échelle croissant, il n’y a pas possibilité que plusieurs entreprises puissent profiter du marché. L’entreprise qui a réalisé les coûts fixes importants dans un premier temps bénéficie donc d’un monopole naturel.
Une politique économique actuelle
Aujourd’hui, comme tu sais, on adopte un autre raisonnement : au nom du principe de monopole naturel, l’État garde le contrôle du réseau national, par exemple pour le réseau ferré, mais encore le réseau d’électricité. Par contre, on admet une concurrence pour les entreprises qui souhaitent profiter de ces réseaux. Ainsi, le TGV peut être concurrencé par des sociétés étrangères ou par d’autres compagnies françaises.
Le monopole institutionnel
Enfin, pour terminer ce point sur les monopoles, il est nécessaire d’évoquer le cas des monopoles institutionnels. Il s’agit des monopoles protégés grâce à des lois qui empêchent la concurrence sur ces marchés. Il s’agit souvent de raisons autres que économiques qui poussent l’État à mettre en place un monopole institutionnel. Les pouvoirs publics interdisent la concurrence pour des raisons sanitaires, sécuritaires, morales ou autres. Ainsi, la vente au détail du tabac est un monopole confié par l’État aux débitants de tabac.
III. L’intervention des pouvoirs publics pour réguler les marchés
Pour éviter que les firmes exercent des pouvoirs de marché, l’État ou la zone économique comme l’Europe mettent en place des politiques de concurrence. Cela vise à maintenir un niveau suffisant de concurrence au sein de l’économie. Elle le fait notamment en régulant les fusions-acquisitions, en luttant contre les ententes illicites et les abus de position dominante.
A. Limiter la concentration des entreprises.
Les pouvoirs publics régulent en amont les concentrations des entreprises autrement dit, les processus d’accroissement de la taille d’une entreprise dans un secteur donné. L’objectif est de limiter la naissance de monopoles. Ainsi, l’autorité de la concurrence contrôle les marchés en mesurant par exemple la part de marché des entreprises. Si une entreprise réalise 60 % des ventes dans un secteur donné, alors elle détient très certainement un pouvoir de marché. Pour être plus précise, l’Autorité de la concurrence calcule l’IHH.
Les entreprises peuvent augmenter leurs tailles par croissance interne, mais aussi par croissance externe, en absorbant ou en acquérant les sociétés concurrentes. On appelle fusion-acquisition deux ou plusieurs entreprises qui décident de réunir leurs ressources pour ne former qu’une seule entreprise. Ces fusions-acquisitions d’entreprises cotées en bourse se font via l’achat des actions. L’autorité des Bourses exige que cela soit transparent. Aussi, pour faire des fusions-acquisitions, il est nécessaire de faire notamment des offres publiques d’achat (OPA). Autrement dit, l’agent économique doit déclarer publiquement qu’il s’engage à acheter à un prix donné une partie des actions d’une entreprise.
B. Sanctionner les ententes et abus de positions dominantes
L’Autorité de la concurrence se doit également de sanctionner toutes les ententes illicites. Elles sont néfastes aux consommateurs et plus globalement au bien-être général. Je te laisse chercher quelques exemples de contrôles et de sanctions imposées par l’Autorité de la concurrence.
Enfin, les autorités sanctionnent les abus de position dominante c’est-à-dire les pratiques anticoncurrentielles d’une entreprise qui profite de sa position dominante pour abuser d’un pouvoir de marché. Tu as en tête, par exemple, le conflit qui oppose depuis des années Microsoft et la Commission Européenne qui l’accuse de profiter de son pouvoir de marché pour imposer son utilisation. Google est fréquemment l’objet également de poursuites. Je te laisse retrouver d’autres cas par des recherches appropriées.
Conclusion
Au terme de ce chapitre, tu as compris comment les entreprises peuvent obtenir des pouvoirs de marché. Il existe quelques cas, comme le monopole d’innovation, naturel ou institutionnel, qui peuvent être recherchés. Sinon, les pouvoirs publics mettent en place une politique de la concurrence visant à sanctionner les entreprises qui abusent de leurs pouvoirs de marché.
MAJ avril 2024 @ Philippe Herry