Quelle Société voulons-nous ? Les inégalités sont-elles toujours injustes ? Les inégalités sont-elles compatibles avec la justice sociale ? Dans ce thème, nous allons répondre à ces questions en analysant notamment le concept de justice sociale et en repérant les actions de l’État pour réduire les inégalités sociales.
Les notions du programme à connaître : inégalité économique et sociale, rapport inter-quantiles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini, top 1%, égalité de droit ou de chance ou de situation, utilitarisme, libertarisme, égalitarisme, assurance et assistance, service collectif, fiscalité, prestation et cotisation sociale, redistribution, protection sociale, discrimination.
I. Des inégalités multiples
À Des différences sociales à l’origine des inégalités sociales
Toutes les différences sont-elles des inégalités La réponse est Non a priori. Avoir les yeux verts ou marrons, mesurer 1 m70 ou 1 m80, habiter en Bretagne ou en Auvergne, a priori, ce sont des différences. Mais sont-elles porteuses d’inégalité ? C’est justement tout le travail des sociologues qui pourra permettre de déceler l’invisible et d’objectiver des inégalités subies ou ressenties.
Une inégalité c’est une différence qui procure des avantages pour certains, des désavantages pour d’autres et qui est à l’origine des hiérarchies. De plus, comme le précise Patrice Bonnewitz dans Classes sociales et inégalités, « l’inégalité individuelle ne devient une inégalité sociale que si l’infériorité ou la supériorité est partagée par des personnes aux caractéristiques sociales identiques ».
Les inégalités sont à la fois objectives, on peut les observer, mais aussi subjectives, autrement dit, elles sont ressenties différemment suivant les individus et la société dans laquelle on vit. Exemple : les mouvements féministes ont révélé des inégalités hommes-femmes qui étaient, jusqu’à il y a peu de temps, aux yeux de l’histoire, assimilées à des inégalités naturelles.
Remarque : Ne pas confondre inégalité et injustice. En effet, l’inégalité est un fait social alors que la question de juste ou injuste est une norme. Certaines inégalités peuvent être justes, d’autres injustes.
Comment peut-on alors décrypter les inégalités ?
B. Des inégalités économiques
Les inégalités économiques ce sont des différences dans la distribution des ressources économiques. On peut distinguer les inégalités de revenus (flux) et les inégalités de patrimoine (stock).
Les écarts de revenus
Que doit-on prendre en compte pour repérer les inégalités ? Les salaires bruts Les salaires nets Les revenus primaires ? Les revenus disponibles bruts Souvent, on compare le salaire net. Cela concerne en effet une grande partie des actifs occupés et cela prend en compte une partie de la redistribution opérée via les cotisations sociales. Les données sont plus faciles à obtenir, mais cependant, cela ne prend pas en compte les impôts directs et les revenus du patrimoine.
La mesure des inégalités économiques peut alors se faire de 2 façons, pour le dire simplement. Soit on calcule les écarts à la moyenne (par exemple la comparaison entre le salaire moyen des hommes et des femmes). Soit on repère les dispersions des revenus dans la population via les quantiles. En économie, on utilise souvent les quartiles ou les déciles. Depuis quelque temps, avec la montée des privilèges de la minorité la plus riche, on utilise de plus en plus le centile pour caractériser le 1 % des plus riches. Si tu veux en savoir plus avec l’Observatoire des inégalités, c’est ICI.
De la méthode
Ces outils statistiques doivent être bien intégrés, et j’ai donc mis en place dans MÉTHODES des exercices pour que tu maîtrises bien les notions de quantiles, mais aussi la courbe de Lorenz et le coefficient de Gini.
Les revenus sont des flux et les inégalités continuelles de revenus viennent grossir le stock de patrimoine, ce qui concentre encore plus les inégalités. On constate ainsi que plus les revenus sont élevés et plus les patrimoines sont globalement importants. D’autre part, l’analyse des données en France et dans l’ensemble des pays permet de constater que les inégalités patrimoniales sont plus prononcées que les inégalités de revenu.
Le Capital au XXIe siècle
À travers son ouvrage Le Capital au XXIe siècle, le célèbre économiste français Thomas Piketty a réalisé un travail remarquable concernant les inégalités. Il reprend notamment l’idée que les inégalités se cumulent de générations en générations et que cela creuse in fine les inégalités selon l’origine ou l’appartenance sociale. Nous retrouvons son analyse ci-dessous.
Mais les inégalités ne sont pas qu’économiques…
C. Des inégalités sociales
Les inégalités sociales ce sont des différences dans la distribution des ressources sociales. Au sens large, les ressources sociales comprennent donc les ressources monétaires, mais aussi culturelles, les ressources en termes de capital social.
Différentes inégalités sociales
Il existe ainsi de nombreuses inégalités sociales. Cela concerne par exemple l’accès à un logement décent. Ce sont également les inégalités dans la représentation politique. Par exemple, les députés ouvriers sont sous-représentés, voire invisibles, alors que les députés cadres sont surreprésentés. Cela peut aussi concerner les inégalités devant la mort. Par exemple, l’espérance de vie moyenne d’un homme cadre est de 6 ans plus élevée que celle d’un homme ouvrier selon l’INSEE, d’après les conditions observées en 2010.
Nous pouvons repérer les inégalités selon les variables statistiques traditionnelles. Parmi les « variables lourdes », on retrouve le genre, l’âge, la catégorie sociale d’appartenance ou de provenance, le diplôme. Je te laisse faire les analyses de différents tableaux statistiques. Tu peux en retrouver notamment dans l’Observatoire des inégalités.
Des inégalités qui se cumulent
Les inégalités se cumulent, c’est-à-dire que certaines inégalités sont à l’origine d’autres inégalités. Ainsi, les inégalités de revenu renforcent les inégalités de logement qui peuvent expliquer d’autres formes d’inégalités, et notamment les inégalités scolaires. Il est moins facile de se concentrer, par exemple, lorsqu’on est 2 ou parfois plus par chambre et lorsqu’on a la chance d’avoir SA chambre. Par conséquent, les inégalités scolaires vont engendrer des inégalités dans les qualifications et donc dans les futurs emplois. Ainsi la boucle se referme avec de nouvelles inégalités de revenus.
II. L’évolution des inégalités économiques depuis le début du XXe siècle
Les crises et les guerres redistribuent les cartes.
À la veille de la Première Guerre mondiale, la situation était très clivée. D’un côté des bourgeois, profitant allègrement du progrès technique pour s’enrichir, de l’autre des prolétaires exploités comme l’analyse et le décrit Karl Marx dans Le Capital. Mais comme nous le décrit Thomas Piketty dans Le capital au XXe siècle, la première guerre mondiale va redistribuer les cartes, puisque l’effort de guerre va être à l’origine de l’impôt sur le revenu. Par la suite, la crise de 1929 va détruire certains patrimoines accumulés et la Seconde Guerre mondiale va également redistribuer les cartes.
L’époque des idées keynésiennes
Enfin, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’époque des trente glorieuses est propice aux idées keynésiennes, si bien que dans de nombreux pays développés l’État va intervenir dans l’économie en redistribuant les revenus via les impôts. Cette diminution des inégalités qui fait suite à l’augmentation constatée en début de développement est souvent schématisée par la courbe de Kuznets, du nom de l’économiste.
La reprise des inégalités
Mais depuis les années 1980, une reprise des inégalités s’observe d’abord dans les pays anglo-saxons, mais également dans les pays comme la France où les protections sociales limitent pourtant la polarisation des revenus. L’économiste Branko Milanovic a symbolisé cet état de fait par ce qu’il appelle la courbe de l’éléphant.
Ce mouvement de reprise des inégalités est à rapprocher des idées libérales qui refont surface à la fin des années soixante-dix, avec notamment l’arrivée de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis. L’Europe va emboîter le pas, au nom de la liberté d’entreprendre et de la compétitivité.
Mais est-ce un mal ? Quelle forme de société désirons-nous ? Il est alors temps d’avoir un regard sur les différentes conceptions de la justice sociale.
III. Les différentes formes d’égalité et la justice sociale
A. La notion d’égalité
L‘égalité peut être définie comme un principe qui établit une équivalence entre deux individus ou deux groupes. Mais quel type d’équivalence précisément ? Selon le philosophe Alexis de Tocqueville (1805-1859), il existe trois types d’égalité.
L’égalité de droit ou de condition
Tous les individus sont égaux devant la Loi. C’est la caractéristique de la modernité, qui marque le passage de l’ancienne société d’ordre à une société démocratique, c’est-à-dire, selon Tocqueville, une société sans différences dans les statuts juridiques. Cela parait presque évident aujourd’hui, puisqu’on a intégré cet état de fait grâce à l’éducation transmise. Mais au fil du long temps de l’histoire, cela ne semblait pas concevable. Donner le même statut juridique à l’esclave et à son maître ? Au seigneur et au serf ?
L’égalité de chance
Tous les individus peuvent accéder aux positions sociales que lui permettent ses capacités et ses mérites. Cela rejoint la notion de méritocratie. Cette volonté de mettre en place une égalité de chance passe évidemment par une éducation de base gratuite et accessible pour tous.
L’égalité de fait ou de situation
Les individus disposent de davantage économiques et sociaux identiques. Il s’agit ici de mesurer les différents écarts d’égalité ou d’inégalité entre les individus dans tous les domaines : niveau de vie, revenu, logement, loisirs, accès à la culture…
Le saviez-vous ?
Alexis de Tocqueville
Alexis Henri Charles Clérel, comte de Tocqueville. Avouez qu’avec un nom, on ne peut cacher ses origines nobiliaires ! Ses parents étaient à deux doigts de passer sous la guillotine en 1794 pendant la Révolution. Puis son père, maire de Verneuil-sur-Seine, est très lié au parti ultra-royaliste, refusant toute innovation démocratique. Par qui le jeune Alexis a-t-il été alors influencé pour défendre la démocratie ? Comment lui est venue l’idée d’écrire De la démocratie en Amérique après son voyage outre-Atlantique en 1831 ? Alexis, influencé par ses professeurs et notamment l’historien Guizot, devient libéral. Il pense alors que la liberté est indissociable de l’égalité pour construire un système démocratique. Longtemps oublié, ses écrits seront mis sur le devant de la scène grâce au philosophe Raymond Aron, qui s’en sert comme par feu libéral contre les idées communistes de Sartre. Mais je te laisse compléter cela grâce à tes cours de philosophie.
Ainsi, on peut avoir égalité de droit sans égalité de chance et de situation ou égalité de droit et de chance sans égalité de situation.
Assurer plus d’égalité, cela signifie-t-il plus de justice ?
B. Qu’est-ce qu’une société juste ?
La justice sociale, c’est l’ensemble des principes qui définissent la répartition équitable des droits sociaux et des devoirs au sein d’une collectivité.
Ce qui est juste ou injuste se base sur un jugement de valeur. C’est donc un point de vue normatif, car on tente de définir ce qui est souhaitable.
Chacun d’entre nous a son propre jugement de ce qu’il considère comme une société juste ou injuste. Mais globalement, on peut distinguer quatre visions différentes de la justice sociale.
Une vision utilitariste
C’est une vision qui découle des idées développées par les Anglais Jérémy Bentham ou John Stuart Mill, entre autres, et qui a donné naissance à ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie du bien-être. Selon Jérémy Bentham, économiste anglais fin XVIIIe, l’État doit rechercher « le plus grand bonheur du plus grand nombre », donc on doit rechercher la meilleure allocation des ressources, ce qui permet d’atteindre l’optimum social. Mais cette vision ne précise pas vraiment quelle serait la meilleure répartition des ressources entre les individus.
Selon les utilitaristes, la société idéale doit maximiser la satisfaction des individus. L’objectif est donc de maximiser la satisfaction. On dit aussi en économie « utilité collective ». Autrement dit, on se doit de réduire les inégalités uniquement lorsque cela maximise la satisfaction globale.
Une vision libérale
De nombreux libéraux, notamment R. Nozick, philosophe américain, tête pensante du courant libertarien, ou encore le philosophe et économiste britannique d’origine autrichienne F. Hayek, mettent en avant la liberté qui permet d’entreprendre, de créer et qui apporte la richesse. Il ne faut donc pas freiner cette ardeur en recherchant l’égalité.
En effet, les différences agissent comme des aiguillons qui incitent les individus à se surpasser. Inversement, l’égalité conduit à l’inefficacité, car si on garantit à tous une même condition sociale, alors il y a moins d’efforts fournis.
D’autre part, la recherche de toujours plus d’égalité conduit à l’uniformité, à la volonté de réduire toutes les différences. L’État peut agir ainsi en régime plus ou moins autoritaire qui établit les normes d’égalité entre les citoyens. C’est la thèse développée par F. Hayek dans son livre La Route de la servitude, écrit en 1944. F. Hayek écrit son livre dans un contexte particulier marqué par l’existence de régimes totalitaires : le nazisme, mais aussi le communisme d’État en URSS. De plus, l’égalité nécessite des contraintes et cela peut remettre en cause la liberté d’entreprendre. Finalement, les idées développées ci-dessus tentent de montrer qu’il faut laisser l’individu entreprendre pour qu’il puisse mériter (méritocratie) un bon revenu, une bonne situation, du prestige social…
Le saviez-vous ?
Friedrich Hayek
Friedrich Hayek (1899-1992) est une référence en tant que penseur intellectuel du libéralisme. Il est né en Autriche, étudie le droit et les sciences politiques et s’intéresse aussi à l’économie. C’est dans ce cadre qu’il va être influencé par l’École néoclassique autrichienne. Dans les années trente, il devient professeur à la prestigieuse London School of Economics, qui aujourd’hui a encore pignon sur rue, dans le centre de Londres, pas très loin du non moins célèbre King’s College.
La Route de la servitude
L’ouvrage majeur de Hayek est publié en 1944. La route de la servitude est un ouvrage remarquablement bien écrit et qui s’efforce de montrer les effets négatifs de toute politique économique trop dirigiste qui contraint l’individu. Hayek démonte ainsi les fondements collectivistes des régimes totalitaires, fasciste et communiste, mais montre aussi les effets pervers de toute politique trop dirigiste, comme par exemple les politiques keynésiennes. En 1947, il est à l’initiative de la célèbre Société du Mont Pèlerin, qui réunit toujours chaque année des membres libéraux. C’est une société puissante, soutenue par de grandes entreprises et qui est à l’origine de nombreux think tanks libéraux, comme par exemple l’Institut Turgot ou encore la Fondation Atlas. Tous ces think tanks influencent fortement les politiques économiques visant à réduire l’action de l’État et à promouvoir le jeu du marché libre.
Une vision égalitariste
À contrario, les égalitaristes ou ceux que l’on regroupe parfois sous l’appellation de communautariens, mettent en avant la valeur ‘égalité’. Ils pensent que les inégalités sont un frein au progrès économique et social.
Au-delà de l’égalité formelle, il faut donc œuvrer en faveur d’une égalité réelle en reprenant notamment le principe de Karl Marx : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. » Depuis Aristote, on présuppose que la justice est reliée à l’égalité. Ce philosophe grec distinguait trois formes de justice. La justice commutative repose sur l’égalité arithmétique, notamment dans l’échange marchand. La justice distributive est une égalité proportionnelle. Ainsi, un individu qui travaille à temps complet doit obtenir un salaire deux fois plus élevé qu’un travailleur à mi-temps. Il distingue enfin la justice corrective, qui suppose une décision pour réparer une décision injuste.
Les auteurs qui s’inscrivent dans le courant égalitariste s’opposent aux arguments des libertariens de la manière suivante :
Égalité = uniformité Au contraire. Lorsque les revenus sont distribués de manière plus égalitaire, chacun atteint un certain niveau de vie. Il y a alors plus de possibilités de s’épanouir, d’adapter un mode de vie spécifique, d’être différent. Une des fonctions essentielles de l’État providence est donc la redistribution des revenus, en proposant des revenus de transfert. (ou prestations sociales)
. Égalité = inefficacité Au contraire. Les inégalités stérilisent la volonté de créer, d’innover.
. Égalité = aliénation de la liberté Au contraire. Ce sont les inégalités qui oppriment. La liberté des uns permet l’exploitation des autres. Lorsque les conditions sociales des citoyens sont globalement plus favorables, alors il y a possibilité de s’exprimer, de se libérer d’un carcan social, de ne pas être exploité.
Les dépenses sociales permettent de libérer l’homme du besoin et du risque, selon l’économiste anglais William Beveridge (1879/1963).
La justice sociale selon John Rawls
John Rawls (1921-2002) est un philosophe américain auteur de Théorie de la justice parue en 1971. Il s’inscrit dans une perspective libérale dans la mesure où la liberté est une priorité. Mais dans le même temps, il met en avant le principe d’égalité.
Il caractérise alors les deux principes de la justice sociale :
Le principe de liberté : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec le même système pour les autres.
Le principe de différence : les inégalités sociales et économiques ne sont justifiées que si elles sont au plus grand bénéfice des plus désavantagés et si elles sont attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous.
Minimin ou Maximin ?
C’est le principe de Maximin. Cette abréviation de maximum minimorum signifie que les politiques économiques doivent agir pour rendre la situation des moins favorisés la plus favorable. Cette vision de la justice se réfère donc à la notion d’équité, qui est un jugement que l’on porte sur une situation. Ainsi, on donne plus à ceux qui ont le moins. Par exemple, pour être plus juste, les dyslexiques bénéficient d’un tiers temps pour le baccalauréat. On remet ici en cause le principe d’égalité de traitement de tous les candidats, dans le but de corriger les inégalités.
Une application concrète : la discrimination positive, dont nous parlerons plus loin.
IV. Comment l’État peut-il contribuer à la justice sociale ?
La volonté de faire intervenir l’État pour contribuer à la justice sociale est fortement dépendante de la vision de la justice sociale que l’on considère. On peut dire qu’il existe un consensus, sauf exception, sur l’idée que l’État doit veiller au respect de l’égalité de droit, mais aussi de l’égalité des chances. Finalement, les divergences d’opinion, entre libéraux, sociaux-démocrates ou égalitaristes, reposent sur l’échelle des inégalités de situation qui parait acceptable.
On peut considérer que les pouvoirs publics disposent de plusieurs outils pour permettre une certaine forme de justice sociale : la redistribution, les services collectifs et les politiques volontaristes de lutte contre les discriminations. Nous sommes ici face aux objectifs de l’État providence. Il doit intervenir dans la recherche du progrès économique et social. C’est une vision de l’État qui s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale et qui s’oppose à l’État gendarme du XIXe qui n’assure que les fonctions régaliennes (police et justice, armée et monnaie).
A. Le système de la redistribution
La redistribution définit l’ensemble des opérations visant à modifier la répartition primaire des revenus. La redistribution répond à un objectif de solidarité entre les individus ou entre les générations (redistribution horizontale) et à un objectif de réduction des inégalités (redistribution verticale). Tu dois notamment bien maîtriser les notions de :
Prélèvement obligatoire : impôts + cotisations sociales
Impôt : prélèvement obligatoire de l’autorité publique sans contrepartie
Les cotisations sociales et prestations sociales. Je prends et je donne.
Cotisations sociales: Ensemble des versements effectués par le travailleur et l’employeur au bénéfice des organismes de protection sociale. La protection sociale vise à couvrir les risques sociaux, c’est-à-dire les risques qui peuvent compromettre les revenus économiques d’un individu et éventuellement de sa famille.
On distingue alors trois logiques de protection sociale que nous allons développer ci-dessous. Il existe une logique universelle, c’est-à-dire que tout le monde y a droit, comme par exemple les prestations familiales, une logique assurantielle qui dépend des cotisations versées et une logique d’assistance qui concerne notamment les minima sociaux. Parmi les organismes principaux qui gèrent la protection sociale, on retrouve la Sécurité Sociale qui gère les risques de maladie, le risque vieillesse, familial, et aussi les accidents du travail et les maladies professionnelles. L’Unedic et Pôle Emploi sont les organismes qui gèrent l’assurance chômage. On doit aussi prendre en compte les collectivités locales, puisque les minima sociaux sont en grande partie distribués par les départements, mais aussi les organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) permettant à des millions de personnes en France d’occuper un logement sans dépendre des prix du marché immobilier.
Prestations sociales sont des revenus de transfert versés par les institutions en charge de la protections sociale.
Ne sois pas brut avec le revenu disponible brut.
Enfin, tu dois te souvenir de la notion de première :
Revenu disponible brut (RDB) = revenu primaire – impôts directs et cotisations sociales + revenu de transfert
Mais aussi
Revenu disponible brut ajusté = RDB + transferts sociaux en nature (notamment les remboursements de soins de santé)
Des impôts pour une société plus juste ?
La fiscalité c’est l’ensemble des règles relatives au recouvrement des impôts et taxes. C’est un des outils dont peuvent disposer les pouvoirs publics pour tendre à une certaine forme de justice sociale. D’une part parce que les recettes fiscales financent les services publics dont profitent l’ensemble des citoyens et d’autre part parce que les règles fiscales permettent une redistribution des ressources. Ainsi, ceux qui sont en faveur d’une égalité forte entre les citoyens vont favoriser les impôts progressifs comme l’impôt sur le revenu (on dit plus précisément l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Ceux qui ne souhaitent pas modifier la répartition des revenus vont prôner les impôts proportionnels. Par exemple, la CSG est un impôt proportionnel qui taxe tous les revenus. Mais il existe une autre forme d’imposition injuste, c’est l’impôt dégressif, autrement dit on prélève une proportion plus importante de leurs revenus aux personnes moins favorisées qu’aux personnes plus favorisées. Plus tu gagnes, moins tu paies ! Incroyable non ? C’est l’exemple des timbres fiscaux ou de la redevance pour la télévision. Cela peut aussi être la taxe sur la valeur ajoutée, qui est un impôt proportionnel sur la consommation, mais qui peut être considéré comme un impôt dégressif en terme relatif. En effet, prélever 20 % de la consommation d’un smicard réduit plus fortement son pouvoir d’achat que lorsqu’on prélève 20 % de la consommation d’une personne favorisée. On peut ainsi considérer que la TVA est un impôt injuste. La France a une caractéristique majeure en terme fiscal ; un peu plus de la moitié des recettes fiscales proviennent de la TVA !
Le saviez-vous ?
La TVA
La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) a été inventée en France. C’est M. Lauré, haut fonctionnaire français spécialiste de la fiscalité, qui l’a mise en place en 1954. La TVA va véritablement s’appliquer à l’essentiel de la consommation des individus à partir de 1967. Par extension, cette taxe fut reprise dans les années soixante par les pays européens. Dès 1977, l’Europe tente d’harmoniser les différentes TVA de chaque pays. Cette taxe est terriblement efficace pour augmenter les recettes de l’État. C’est ce qui explique sa généralisation progressive dans le monde. Elle nécessite toutefois un État suffisamment développé pour administrer les flux d’argent.
Intéressons-nous maintenant à la redistribution. Nous allons nous attarder sur les deux formes de redistribution qui correspondent historiquement à deux parcours distincts.
La redistribution horizontale
Tout d’abord, arrêtons-nous sur la redistribution horizontale et reprenons le système d’assurance sociale hérité de l’époque de Bismarck et qui inspira en grande partie le système de protection sociale français. On parle parfois de régime corporatiste. Les pouvoirs publics fournissent une assurance sociale en contrepartie du travail fourni (par extension à toutes les personnes dépendantes du travailleur). Ce système contribution/rétribution ouvre aux citoyens des droits envers la société. C’est ce qu’on appelle le droit « objectif ». Les prestations dont peut bénéficier le citoyen sont liées à une contribution. Il s’agit notamment des pensions civiles ou retraites, des allocations chômage, des indemnités maladie.
La redistribution verticale
Maintenant, nous allons voir l’autre versant de la redistribution, la redistribution verticale dans une logique d’assistance : aide versée aux individus dans le but de leur fournir une protection sociale minimale. On dit qu’il s’agit d’un système beveridgien, car l’Anglais William Beveridge en est le fondateur en 1942.
Par exemple, ceux qui n’ont pas la possibilité de satisfaire leurs besoins peuvent bénéficier en France du Revenu de Solidarité Active Socle. Cela correspond à 537 € (2017). C’est une donnée brute.
Tu dois savoir qu’un débat se fait jour dans beaucoup de pays développés sur la question de mettre en place un revenu universel, c’est à dire un revenu assuré à tous les majeurs, actifs ou non actifs.
Il existe en France d’autres revenus d’assistance parmi les minima sociaux. On peut ainsi nommer les allocations de solidarité spécifiques pour les chômeurs de très longue durée ou le minimum vieillesse ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui ne perçoivent pas de revenu décent. On leur attribue 803 € par mois (en 2017).
Les minima sociaux sont des prestations non contributives, soumises à des conditions de ressources et de besoins, autrement dit l’argent est versé même si l’ayant droit n’a jamais contribué par des prélèvements sociaux. Il s’agit donc ici de droit subjectif.
Un système de redistribution qui évolue en France.
Remarque : face aux difficultés de faire supporter une grande partie de la protection sociale sur les travailleurs, le système évolue depuis ces dernières années en France, avec une part plus conséquente de l’impôt pour financer la protection sociale. Si on veut rentrer dans le détail, mais c’est nécessaire, car certains correcteurs sont tatillons. Comme tu le sais, la Contribution sociale généralisée (CSG) ou encore la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) qui correspondent à un % prélevé sur tous les revenus, peuvent être considérées comme des impôts, car il n’y a pas de contrepartie, mais on peut aussi les considérer comme des cotisations, car le montant est au bénéfice des organismes de protection sociale. Les deux réponses sont bonnes à partir du moment où tu le justifies.
Un autre moyen pour l’État de permettre la justice sociale : investir dans les services collectifs.
B. L’État investit dans les services collectifs.
Services collectifs ou services publics, c’est-à-dire des activités d’intérêt général qui permettent la cohésion sociale. C’est une définition large qui laisse une grande marge d’interprétation sur la notion d’intérêt général. Ainsi, il est entendu que l’État réponde aux fonctions régaliennes (justice, police, défense, monnaie). De plus, l’État doit répondre au ‘market failure’, c’est-à-dire aux défaillances de marché, et notamment prendre en charge les biens collectifs (biens qui obéissent à deux principes, non rivalité et non excluabilité). Tu te rappelles ? C’est des notions que tu as approfondies en première et qui sont nécessaires pour le bac !
Monsieur Excluabilité et Madame Rivalité sont sur un bateau.
Petit rappel :
Il y a non excluabilité lorsqu’on ne peut exclure un consommateur. Par exemple pour un feu d’artifice, mais aussi pour profiter de la nature, du soleil…
Il y a non-rivalité lorsque les consommateurs ne sont pas rivaux. La consommation par l’un n’empêche pas l’autre de consommer.
Hors les biens collectifs, non excluables et non rivaux ne peuvent pas être privés puisqu’il y aurait des passagers clandestins. Il est donc nécessaire que l’État intervienne pour gérer ces biens.
Enfin, dans de nombreux pays développés, l’État prend en charge d’une façon plus ou moins importante des biens tutélaires, c’est-à-dire des biens (en réalité des services) qui pourraient répondre à un marché privé, mais qui répondent cependant à une production publique. Cela relève d’une décision politique. On retrouve notamment la santé et l’éducation qui permettent l’égalité des chances.
Pour autant, malgré les efforts de l’État, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances. Alors les pouvoirs publics utilisent un troisième outil permettant d’assurer une meilleure justice sociale.
C. Des mesures de lutte volontaristes de lutte contre les discriminations
La discrimination au sens large, c’est une différenciation de traitement qui conduit à mettre en cause le principe d’égalité. L’État peut ainsi être amené à lutter contre toute forme de discrimination en sanctionnant lourdement et en punissant ceux qui pratiquent la discrimination. D’autre part, l’État peut imposer des mesures pour réduire les discriminations. Par exemple, en imposant l’accessibilité des handicapés aux locaux administratifs.
L’État peut aussi mettre en place des mesures de discrimination positive, c’est-à-dire une discrimination justifiée par une politique volontariste visant à réduire les inégalités. Il existe de nombreux exemples de politiques de discrimination positive. Aux États-Unis, on parle d’Affirmative Action pour combattre les inégalités subies par les minorités ethniques. L’administration se doit par exemple d’employer un certain nombre de personnes de couleur. En Inde, pour combattre les préjugés contre les Intouchables, le pays a mis en place des quotas d’embauches d’Intouchables et dans les universités des places leur sont réservées. Cela est d’ailleurs dénoncé par les enfants des autres castes. En France, le meilleur exemple de discrimination positive est la parité homme-femme en vigueur en politique depuis la loi n° 2000-493 promulguée le 6 juin 2000.
V. L’action de l’État est-elle toujours efficace ?
Nous allons tout d’abord rappeler quelques faits encourageants avant de reprendre les arguments, notamment des libéraux qui insistent sur les effets pervers.
A. Une réduction des inégalités
La France fait partie des pays développés où les inégalités économiques s’observent moins qu’ailleurs, et notamment dans les pays anglo-saxons. Plus précisément, selon l’INSEE, les prestations sociales contribuent pour deux tiers à la réduction des inégalités. Cela montre l’importance des aides sociales accordées par la Sécurité sociale et, plus largement, par la protection sociale mise en place par les pouvoirs publics.
Faut-il alors mettre en place des politiques plus volontaristes ? En réalité, la conjoncture actuelle ne permet plus de mobiliser des dépenses publiques importantes. De plus, la société est traversée par des débats qui minent les actions.
B. Une contrainte financière qui pèse sur l’action publique
Le poids des déficits publics et des dettes publiques nécessite de réduire les dépenses publiques. Ainsi, dans les pays de la zone euro, les pays doivent se rapprocher, lorsqu’il n’existe pas de crise profonde, des deux règles fixées au Traité de Maastricht. Le déficit public ne doit pas excéder 3 % du PIB et le montant de la dette publique ne doit pas être supérieur à 6 % du PIB.
Ces contraintes financières peuvent alors peser sur les dépenses sociales souhaitées par un gouvernement, mais qui viendraient alourdir les dépenses de l’État et ainsi l’éventuel déficit public. In fine, cette contrainte financière risque d’affecter les plus démunis.
C. Des remises en cause de l’efficacité de l’action de l’État
Les économistes et les hommes politiques libéraux insistent sur les effets pervers et les désincitations liées à l’action de l’État. En effet, les libéraux s’appuient notamment sur la célèbre courbe de Laffer (du nom de l’économiste libéral américain).
Cette courbe permet alors de critiquer un poids excessif des prélèvements sociaux qui pèse négativement sur la croissance économique. Lorsque le % des prélèvements sociaux dépasse un certain seuil, les recettes de l’État ne sont pas pour autant plus élevées, car il y a moins de travail. En effet, s’il est trop taxé, il y a des volontés d’échapper à l’impôt. On retrouve alors le travail non déclaré, voire l’évasion fiscale.
Les Libéraux dénoncent aussi les effets pervers de l’assistanat. Ainsi il existe une trappe à la pauvreté: une population est cantonnée dans l’inactivité et donc dans la pauvreté car il n’y a pas d’incitation à travailler.
À contrario, certains citoyens attachés à plus d’égalité sont critiques pour d’autres raisons que nous allons voir ci-dessous.
D. Une recherche de l’égalité qui n’est pas toujours efficace
Lorsque l’État intervient par des financements de services collectifs, il recherche l’égalité entre tous, mais ceux qui en bénéficient le plus sont souvent les familles les plus favorisées. C’est notamment le cas vis-à-vis de l’éducation qui bénéficie plus aux familles de classes moyennes et favorisées dont les enfants statistiquement continuent les études plus longtemps. Même le système de santé bénéficie aux plus favorisés, car l’espérance de vie est plus longue parmi ceux qui sont dans les classes sociales plus favorisées.
Conclusion du thème
Nous avons vu que les inégalités sont multiples. Bien sûr, tu dois penser aux inégalités économiques, mais aussi savoir illustrer de nombreuses formes d’inégalités sociales. Ces inégalités se cumulent entre elles si bien que pour certains, les dés sont pipés dès le départ. Il est du devoir des pouvoirs publics d’agir contre toute forme d’inégalité. Il existe un large consensus sur la volonté d’aller vers l’égalité de fait et de chance. Par contre, concernant les égalités de situations, elles font référence à des normes de justice sociale qui sont subjectives. Il faut savoir que les pouvoirs publics ont à leur disposition au moins trois outils pour assurer plus de justice sociale. La redistribution, les services collectifs et les politiques de discrimination positive. Il faut rester vigilant pour s’assurer que le filet de protection sociale ne se perce pas et que, d’autre part, les politiques sociales restent efficaces.
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MAJ juin 2024 @ Philippe Herry