Comment est structurée la société française actuelle ? Voilà la question centrale de ce chapitre.
Nous verrons dans un premier temps qu’il existe de multiples facteurs qui déterminent la place de l’individu dans la société. Puis il s’agira de faire un focus sur la structure socioprofessionnelle avec un regard sur l’évolution de l’emploi dans la deuxième moitié du XXe siècle. Enfin, pour terminer ce chapitre, nous aborderons le débat : l’analyse de la société en terme de classes sociales a-t-elle encore un sens ? Vérifie tes connaissances avec le petit QCM à la fin de l’article.
Tu vas donc retenir de nombreuses idées et acquérir des connaissances, mais surtout, ce chapitre doit permettre de travailler la méthode avec l’analyse de nombreux documents et la maîtrise d’outils statistiques comme les quantiles, la courbe de Lorenz et le coefficient de Gini.
Les concepts essentiels du thème (définis dans cet article) : Catégories socioprofessionnelles, revenu, diplôme, cycle de vie, salarisation, tertiarisation, féminisation des emplois, classes sociales, groupe de statut, genre, distance inter-classe et intra-classe, individualisation.
I. Un espace social structuré et hiérarchisé
Dans les plis singuliers du social
Quels sont les multiples critères qui vont façonner notre identité sociale ? Pour répondre à cette question, je te propose de lire les quelques phrases suivantes du livre de référence de Bernard Lahire, Dans les plis singuliers du social, 2013 : Si l’espace social dans ses différentes dimensions (économique, politique, juridique, culturelle, sportive, sexuelle, morale, religieuse, scientifique, etc.) est représenté par une feuille de papier, alors chaque individu est comparable à une feuille froissée. Ces dimensions se plient toujours d’une façon relativement singulière en chaque acteur, et le chercheur qui s’intéresse à des acteurs particuliers retrouve en chacun d’eux le produit de l’ensemble des plissements de l’espace social (…).
L’expérience de sa classe
Bernard Lahire rajoute : « Lorsqu’on a besoin de comprendre les ‘raisons’ pour lesquelles un individu particulier a agi comme il l’a fait, on ne peut plus se contenter de recourir seulement aux grandes déterminations de groupe, de classe ou de champ. L’étude exige alors que l’ensemble des espaces de façonnements sociaux (familial, scolaire, professionnel, culturel, politique, religieux, sportif, etc.) par lesquels est passé l’individu soit pris en compte. En commençant par la famille particulière au sein de laquelle il a fait l’expérience de sa classe. »
Arrêtons-nous plus longuement, tout d’abord, sur les multiples facteurs à l’origine de la hiérarchie et du classement social dans nos sociétés. Nous allons tenter de mettre à jour les facteurs économiques et sociaux et les autres facteurs qui sont à l’origine des hiérarchies de la société et donc des dominations. Dans un premier temps, bien évidemment, il y a les facteurs socio-économiques, comme les CSP d’origine et d’appartenance, le revenu et le diplôme. Mais d’autres facteurs sont déterminants, comme l’âge et le sexe ou le lieu de résidence, ou encore la composition familiale, mais aussi l’origine ethnique.
A. Des critères socio-économiques fondamentaux pour expliquer les positions sociales inégales : les catégories socioprofessionnelles, le revenu et le diplôme.
Nous faisons référence aux Catégories socioprofessionnelles (CSP), autrement dit le classement élaboré par l’ INSEE dans des catégories qui présentent une certaine homogénéité sociale
À l’origine des CSP
Le premier classement en Catégorie socioprofessionnelle (CSP) de l’INSEE remonte à 1954. Il a été utilisé pendant presque 30 ans. Cependant, face aux évolutions de la société et des structures professionnelles que nous verrons ci-dessous, il a été nécessaire de modifier la grille de classement, la nomenclature. En 1982, on met en place les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) qui regroupent 6 groupes socioprofessionnels d’actifs, les agriculteurs exploitants, les artisans commerçants et chefs d’entreprise, les cadres et professions intellectuelles supérieures, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. Il y a aussi 2 groupes socioprofessionnels d’inactifs, les retraités et les autres personnes sans activité professionnelle, ce qui permet de prendre en compte l’ensemble de la population. Les 8 groupes socioprofessionnels sont subdivisés en 24 catégories socioprofessionnelles. Voir la grille INSEE.
La profession : un critère prédominant
Le classement est complexe, car il est multicritères. Plus précisément, on en retrouve sept. La profession est un critère prédominant. Mais au-delà, on distingue les travailleurs indépendants qui sont uniquement dans la CSP 1 et 2, avec une exception, la CSP 31, qui comprend les professions libérales. En effet, les notaires, médecins, avocats non salariés sont classés en catégorie 3, celle des cadres et professions intellectuelles supérieures, car le niveau d’étude élevé est une caractéristique principale des professions libérales. Ensuite, les groupes socioprofessionnels 3, 4, 5 et 6 concernent les salariés qu’ils travaillent pour le public ou le privé.
Niveau hiérarchique
D’autre part, on distingue les salariés selon le niveau hiérarchique. Ainsi, les cadres sont hiérarchiquement situés au-dessus des professions intermédiaires qui sont au-dessus des ouvriers et des employés. Pour être plus précis, on distingue les catégories selon la qualification. Par exemple, on distingue les ouvriers qualifiés et non qualifiés. Également, on prend en compte la nature de l’emploi. Par exemple, il y a ceux qui travaillent dans le public et ceux qui travaillent dans le privé.
Activité et taille de l’entreprise
On distingue aussi l’activité de l’entreprise. Ainsi, les ouvriers agricoles sont classés dans une catégorie spécifique (69 ouvriers agricoles). Enfin, un septième critère concerne la taille de l’entreprise. Ainsi, on classe dans la catégorie 23 les chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus.
Un classement qui structure la société
Ce classement complexe a pour but d’avoir une représentation structurée de la société, avec des individus classés selon des groupes relativement homogènes. Ce travail est utile pour réaliser alors des enquêtes et mieux comprendre les pratiques sociales ou les comportements des citoyens. Les enquêtes réalisées grâce aux catégories sociales, laissent toujours apparaître de fortes inégalités. Ainsi, les catégories les plus favorisées sont toujours les plus diplômées en moyenne. Le diplôme c’est le titre légitimé par l’institution publique qui atteste du niveau de connaissances. La catégorie Cadre concentre des personnes qui ont au moins la licence, mais souvent plus. Les personnes ont des niveaux de diplômes moins élevés en moyenne dans les catégories Ouvrier et Employé . De même, le classement en CSP est fortement corrélé avec le revenu. Les cadres gagnent en moyenne plus que les ouvriers ou employés.
La question du revenu
Si tu dois définir le revenu, il faut reprendre les souvenirs de seconde ou première. Le revenu, c’est l’ensemble des ressources que l’individu peut affecter à la consommation ou à l’épargne. Le revenu peut être un revenu d’activité lorsqu’on travaille ou un revenu de transfert, pour les retraités ou les chômeurs, par exemple. On parle en économie plus précisément du revenu disponible, c’est-à-dire le revenu primaire (revenu d’activité et de patrimoine) et le revenu secondaire qui comprend les prestations sociales moins les prélèvements. Ainsi, on s’en doutait, les actifs classés dans ‘cadres et professions intellectuelles supérieures’ sont plus diplômés que les professions intermédiaires et, par voie de conséquence, comme la position hiérarchique sera en moyenne plus élevée, les revenus seront aussi plus importants.
De même, d’autres inégalités sociales comme le chômage seront très corrélées à la catégorie socioprofessionnelle.
Taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle
Année | Agriculteurs exploitants | Artisans, commerçants et chefs d’entreprise | Cadres et professions intellectuelles supérieures | Professions intermédiaires | Employés | Ouvriers |
---|---|---|---|---|---|---|
2020 | 0,6 | 3,6 | 3,7 | 4,8 | 8,7 | 11,4 |
2019 (r) | 1,2 | 3,9 | 3,5 | 4,7 | 9,2 | 12,4 |
2018 (r) | 1,0 | 4,0 | 3,4 | 5,1 | 9,8 | 12,5 |
2017 (r) | 0,9 | 4,7 | 3,3 | 4,7 | 10,3 | 13,5 |
2016 (r) | 0,6 | 4,8 | 3,5 | 5,4 | 10,6 | 14,9 |
2015 | 0,6 | 5,0 | 4,0 | 5,9 | 10,5 | 14,9 |
- r : données révisées.
- Lecture : en 2020, le taux de chômage des employés est de 8,7 %.
- Champ : France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire, actives ayant déjà travaillé.
- Source : Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail.
B. Le sexe et l’âge, des différences biologiques qui se transforment en différences sociales.
Lorsqu’on est plus jeune
Tout d’abord, arrêtons-nous sur le critère de l’âge. Nous savons que c’est un déterminant fort concernant les pratiques sociales. Par exemple, toutes les études sur les pratiques culturelles montrent une pratique plus intense et diversifiée des loisirs lorsqu’on est plus jeune. De plus, l’espace de loisirs de la jeunesse est lié à certains genres musicaux. Pour le dire autrement, le rap est plutôt écouté par des catégories plus jeunes. D’autre part, les pratiques des jeux vidéo et du numérique sont beaucoup plus marquées pour les jeunes. Cela te semble assez évident, je pense. Au-delà de la différenciation culturelle, la position dans le cycle de vie, autrement dit le fait d’être jeune, d’être un actif de 40 ans ou proche de la retraite, est un critère important pour analyser le taux de chômage et aussi les inégalités de revenus. Ainsi, nous savons que le taux de chômage des jeunes actifs est plus important que dans le reste de la population active. Entraine-toi avec ce graphique INSEE à l’analyse des taux d’activité et taux d’emploi des jeunes et aussi avec ce tableau statistique plus classique de l’INSEE sur le taux de chômage.
Des inégalités de genre
Intéressons-nous maintenant au critère de genre. On le rappelle, mais tu as déjà vu la notion dès la seconde : le genre définit la construction sociale de l’identité sexuelle. Or, comme tu le sais, les différences genrées sont à l’origine d’inégalités qui s’observent, par exemple, dans les différences salariales homme-femme, dans le rapport au pouvoir, ou encore dans la répartition sexuelle des tâches domestiques. De nombreux graphiques INSEE te permettent de repérer les inégalités genrées.
C. D’autres facteurs d’inégalités sociales
Nous avons repéré ci-dessus plusieurs critères de distinctions sociales. Pour terminer, nous allons isoler deux autres facteurs sociaux.
Des familles monoparentales exposées
Tout d’abord, depuis une vingtaine d’années environ, les enquêtes montrent une très nette différence de revenu selon la composition des ménages. Pour le dire autrement, les taux de pauvreté affectent beaucoup plus les familles monoparentales. Or, comme on le sait, c’est la femme qui est en grande partie chargée de famille lorsqu’il y a séparation. Ce qui est donc vecteur de fortes inégalités genrées.
Neuilly ou Cergy ?
Enfin, comme tu le sais, le lieu de résidence est à la fois cause et conséquence d’inégalités marquées. Ainsi, les familles plus aisées ont tendance à réaliser l’entre soi dans des quartiers plus bourgeois du centre ville. Comme le dit le géographe urbain Donzelot dans son ouvrage Une ville à trois vitesses, il existe la gentrification marquée par des zones de résidences chères, puis la périurbanisation qui regroupe les classes moyennes dans des lotissements, notamment, et il y a les zones de relégation. Or ces espaces géographiques différenciés sont à l’origine de différences sociales marquées. À ma petite échelle, avec ce cours que je distribue gratuitement à des milliers d’élèves de toute condition sociale via Internet, je participe à ma façon à plus de justice sociale. Tu peux d’ailleurs laisser un commentaire 🙂
Nous avons identifié les multiples facteurs qui structurent aujourd’hui la société. Intéressons-nous à l’histoire économique et sociale récente qui montre la transformation de la structure de la société.
II. Le monde du travail a changé.
Lorsqu’un pays se développe, la société se modifie et, en particulier, l’emploi se transforme considérablement. Analysons tout cela avec un regard sur la tertiarisation, la salarisation, la féminisation et la qualification. (beaucoup de ion 😉 )
A. La tertiarisation de la société
Les secteurs d’activité
L’économiste britannique, Colin Clark, a établi, en 1947, le classement en trois secteurs d’activité.
– Le secteur primaire : il comprend l’agriculture, la pêche, l’extraction minière, l’entretien des forêts (sylviculture). Ce secteur concerne la production de ressources naturelles et de matières premières.
– le secteur secondaire : industrie, bâtiment (BTP, Bâtiments et travaux publics). Ce secteur concerne la transformation des ressources naturelles en produits manufacturés.
– Le secteur tertiaire : les services. Le tertiaire ne concerne ni l’agriculture ni l’industrie, il s’agit de la production de services marchands et non marchands. Ce secteur concerne l’essentiel des emplois dans le secteur bancaire, les assurances, l’éducation, le secteur médical, le tourisme, les transports, les loisirs, les médias, l’hôtellerie, la restauration, l’informatique, le commerce, l’administration… Regarde l’évolution ci-dessous.
Ne pas confondre.
Attention : il ne faut pas confondre l’activité professionnelle d’un salarié et le secteur d’activité de l’entreprise. Par exemple, dans une usine qui appartient donc au secteur secondaire, il est parfois évidemment nécessaire d’avoir des gestionnaires, activités administratives diverses et variées. Le salarié qui exerce une activité de services sera classé dans le secteur secondaire puisque son entreprise appartient à ce secteur.
Les transformations du monde du travail
Source: O. Thélot deux siècles de travail en France
Le monde agricole d’autrefois
Ce graphique nous décrit les grandes évolutions du monde du travail depuis la Révolution Industrielle du XIXe siècle. Alors que l’essentiel de la population vivait chichement de la terre, nous assistons graduellement à la montée de l’industrialisation et d’une population ouvrière et, dans le même temps, d’une population liée aux services. À la veille de la Grande Crise de 1929, les effectifs sont d’un tiers environ dans chaque secteur économique. Après guerre, c’est le déclin des effectifs dans le secteur primaire, la « fin des paysans », pour reprendre la formulation de Henri Mendras qui analyse le phénomène dans son ouvrage de 1967. Les exploitants agricoles utilisent de plus en plus de machines agricoles, aidés financièrement par le Crédit Agricole, notamment en France. La productivité agricole augmente fortement, libérant des emplois qui viennent se déverser dans le secteur secondaire en pleine expansion.
Le monde industriel en expansion
À partir du début des années 80, on assiste à un pic des effectifs dans le secteur industriel, puisqu’il regroupe presque 40 % des travailleurs. Ensuite, on assiste à une baisse du nombre des travailleurs dans le secteur primaire et secondaire au profit du secteur tertiaire, c’est ce qu’on appelle la tertiarisation autrement dit, l’augmentation des emplois du secteur tertiaire dans l’ensemble des emplois. Ils viennent se déverser dans le secteur tertiaire, pour reprendre l’expression d’Alfred Sauvy (1898/1990), démographe et économiste français.
Le monde du tertiaire
Avec le progrès technique, les emplois perdus dans le secteur primaire, liés aux machines agricoles, viennent se déverser dans le secteur industriel, puis avec le développement des robots et des machines à commandes numériques dans les manufactures, les emplois se déversent dans le secteur tertiaire où la productivité est moins élevée.
Cette évolution des emplois a eu des répercussions importantes. Nous allons voir ci-dessous trois caractéristiques essentielles.
B. La salarisation
Taux de salarisation
Pas besoin d’un long discours pour définir la salarisation qui caractérise l’augmentation de la part des salariés dans la population active.
Aujourd’hui, prés de 90 % des travailleurs français, c’est-à-dire 25,5 millions en 2019, sont des salariés. En effet, les nombreux paysans d’autrefois ont été remplacés. Les petits métiers indépendants ont laissé place à des travailleurs qui ont un employeur. C’est la même chose avec les petits commerces. La multitude d’échoppes que l’on retrouvait aux coins des rues dans toutes les bourgades françaises ont laissé place après la seconde guerre mondiale à des supermarchés puis hypermarchés. Les petits commerçants indépendants ont été remplacés par des employés de la grande distribution.
Source: INSEE ’50 de mutations de l’emploi’
C. Les femmes se rendent visibles dans le monde du travail.
Attention à l’erreur classique consistant à dire que les femmes sont rentrées massivement dans le monde du travail. Les femmes ont toujours travaillé, mais leurs travaux étaient peu visibles, notamment car autrefois elles exerçaient trop souvent un emploi non déclaré considéré comme une aide apportée au conjoint, à la ferme, dans l’épicerie, etc.
Taux de féminisation de l’emploi
Source INSEE
À partir des années cinquante et soixante, les femmes remettent en cause le modèle bourgeois de la femme au foyer. L’émancipation des femmes passe par un emploi indépendant de celui du mari. Or l’évolution de la société leur est favorable, puisqu’il y a une création importante de métiers de services qui attirent à cette époque les femmes par millions. Il s’agit donc de la féminisation
des emplois, dans le sens où une part de plus en plus importante des emplois est exercée par les femmes.
D. L’augmentation de la qualification des emplois
La formation qui permet la qualification comprend la formation initiale et la formation continue. La formation initiale concerne l’ensemble des jeunes jusqu’à 16 ans et la majorité d’entre vous jusqu’à 21 ans.
III Classes sociales ou stratification sociale?
A. La hiérarchie des groupes sociaux
On devient tous égaux en théorie.
C’est Pierre Bourdieu (1930/2002) qui rappelait que l’un des principaux enjeux de la sociologie, est de faire apparaître les hiérarchies invisibles et aussi de dévoiler les mécanismes invisibles par lesquels la domination se perpétue. Traditionnellement, on a distingué les sociétés de castes, les sociétés d’ordre et les sociétés de classes sociales. Les sociétés de castes, comme autrefois en Inde ou au Japon, ou d’ ordre, comme la France de l’Ancien Régime avec la noblesse, le clergé et le tiers état comme tu l’as appris depuis le primaire, sont des sociétés fermées avec des règles d’ inégalités (inégalités de droit). Grâce à l’abolition des privilèges, déclarés et reconnus grâce notamment à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH de 1958) ; les inégalités de droit ont été abolies. Il n’y a donc pas d’inégalité de droit, mais des inégalités de fait. On est alors dans des sociétés de classes sociales.
La classe sociale ?
La notion de classe sociale est délicate, c’est un terme ambigu, employé avec des sens différents par des auteurs différents. Pour simplifier, on peut considérer que une classe sociale est un groupe social ayant une existence de fait et non de droit et qui réunit des individus ayant des caractéristiques économiques, sociales, culturelles similaires.
Remarque : dans la hiérarchie des classes sociales, on distingue très schématiquement les classes populaires, les classes moyennes et les classes supérieures (favorisées). Mais il y a d’autres classements possibles… Ainsi, comme tu le sais, Marx établissait au XIXe siècle une opposition plus affirmée entre les deux classes sociales antagonistes ; les bourgeois et les prolétaires.
B. Les classes sociales sont au cœur de la structure sociale selon Karl Marx.
Ce travail sur les classes sociales selon Karl Marx nécessite de reprendre le contexte de l’époque marquée par la misère sociale d’une grande partie de la population et l’opulence de quelques privilégiés. Il faut alors se souvenir des cours d’histoire sur la Révolution Industrielle, mais aussi des cours de français sur les auteurs du réalisme social, Zola, Hugo, Balzac et tant d’autres.
Le saviez-vous ?
Karl Marx (1818/1883)
Il est né à Trèves en Rhénanie, devenue prussienne après l’effondrement de l’Empire napoléonien en 1814. À 23 ans, il finit ses études de droit, commencées à Bonn et poursuivies à Berlin. La Gazette Rhénane, dans laquelle il publie, est interdite par le gouvernement prussien. Karl Marx s’installe à Paris pour continuer la propagande. Mais l’aventure tourne court et Karl Marx, expulsé, se réfugie à Bruxelles puis à Cologne. De nouveau expulsé, il choisit l’exil à Londres où il vivra le reste de sa vie. Il va côtoyer, sans vraiment la vivre, la misère des classes laborieuses. Il va travailler comme un acharné pour le mouvement ouvrier, notamment en rédigeant son œuvre dans les salles de lecture du British Museum !
Marx a une conception réaliste des classes sociales.
Il distingue deux caractéristiques essentielles. Le classement en classe sociale dépend de la possession ou pas des moyens de production. La classe bourgeoise possède les moyens de production et la classe prolétarienne vend sa force de travail et est exploitée par les bourgeois qui extorquent la plus-value. Il emploie la notion de rapport de production, c’est-à-dire que notre place dans le mode de production est déterminée par notre classe sociale.
D’autre part, le classement en classe sociale nécessite une conscience de classe sociale. Conscience, par exemple, d’être un prolétaire exploité par la classe bourgeoise, ce qui nécessite alors de prendre part à la lutte des classes.
Plus précisément, Karl Marx fait deux distinctions. Il existe la classe en soi, autrement dit la classe de fait qui correspond à la réalité sociale. D’autre part, la classe pour soi, c’est-à-dire que les individus ont conscience d’appartenir à une classe sociale et vont pouvoir se positionner dans la lutte des classes.
C. La société est une superposition de strates sociales selon Max Weber.
Max Weber et les strates sociales
À la différence de Karl Marx, Max Weber (1864/1920), l’économiste et sociologue allemand, analyse la structure de la société à partir de l’individu (individualisme méthodologique). On peut donc faire des classements des individus, mais c’est une conception nominaliste des classes, dans le sens où on ‘nomme’ un regroupement d’individus qui sont dans une même position sociale. Selon lui, la société n’est pas uniquement structurée selon la vision économique de possession ou pas des moyens de production, comme le pense, Karl Marx. Il y a des strates sociales ou couches sociales, c’est-à-dire des groupes d’individus qui partagent des positions sociales qui semblent similaires. On peut repérer alors une graduation des positions sociales.
Selon lui, la société se structure selon 3 ordres distincts.
Trois ordres distincts
-> l’ordre économique qui permet de hiérarchiser des classes sociales qui réunissent des individus ayant des chances différentes d’accéder à certains biens ou services.
Remarque : les classes n’ont pas nécessairement conscience d’elles-mêmes. C’est une vision nominaliste (les classements de la société sont une construction intellectuelle pour mieux comprendre la réalité).
-> l’ordre politique : les inégalités de distribution du pouvoir. La compétition va s’organiser à travers les partis.
-> l’ordre social qui distingue les groupes de statut (le statut social) selon le niveau de prestige et d’honneur. Cela repose sur des bases objectives (mode de vie, naissance, instruction), mais aussi des dimensions subjectives (reconnaissance de ce prestige).
Selon l’économiste et sociologue allemand, les ordres sont liés, mais cependant distincts (exemple : vous pouvez être haut fonctionnaire et bénéficier d’un prestige social, mais ne pas avoir un haut patrimoine). Ainsi, selon M. Weber, il n’y a pas une société duale, mais une société multidimensionnelle.
IV. La dynamique de la structure sociale aujourd’hui
L’analyse contemporaine sur l’existence de classes sociales doit se nourrir des évolutions récentes de la société, mais aussi d’un regard plus global sur l’individualisation de la société qui remet en cause l’appartenance à une classe sociale bien définie.
A. De la distance inter-classes à la distance intra-classe
La réduction de la distance inter-classe
On retrouve ici les travaux d’Henri Mendras, le sociologue français contemporain, sur la moyennisation de la société. Selon lui, la classe ouvrière était une classe centrale dans l’analyse marxiste. Mais la classe ouvrière n’est plus centrale à partir des 30 Glorieuses. La catégorie des employés devient ainsi plus importante en terme d’effectifs. Avec le développement économique de la société et la démocratisation, est apparue dès les années 30 aux États-Unis et plus globalement après la deuxième guerre en France, une classe moyenne. Or cela affecte grandement les inégalités inter-classes qui structuraient autrefois la société. Ainsi, avec la moyennisation de la société, on constate une augmentation des pouvoirs d’achat qui va permettre à une grande majorité de la population de se rapprocher d’un mode de vie qui aurait tendance à s’uniformiser. De plus, le filet de protection sociale mis en place par un État providence a permis de réduire cette distance inter-classe.
Restons prudent dans l’analyse.
Il faut toutefois rester prudent dans l’analyse et observer avec attention tous les écarts qui se profilent. Ainsi, même si les inégalités de revenus entre les déciles supérieurs et inférieurs n’évoluent pas véritablement, il faut noter l’augmentation très importante de la richesse du centile supérieur. D’autre part, la pratique de l’entre soi perdure dans les milieux favorisés et exclut ceux qui n’ont pas les mêmes pratiques sociales. Le bridge, le golf ou faire du cheval sont des loisirs encore très connotés.
Une distance intra-classe qui augmente
Dans le même temps, à l’intérieur même des classes sociales, des distinctions marquées apparaissent. Par exemple, la classe ouvrière n’est plus univoque. On distingue les ouvriers qualifiés, qui possèdent souvent un emploi stable avec une progression de carrière possible et les ouvriers non qualifiés qui ont plus souvent des contrats précaires et moins de possibilités de réaliser une carrière. Les premiers ont un standard de vie qui s’assimile à la classe moyenne, alors que plus souvent les seconds connaissent la précarité des classes populaires.
B. Les rapports sociaux de genre
We Want Sex Equality est un film britannique de 2010 qui relate la première grève ouvrière féminine dans une usine Ford. Ainsi, les inégalités de genre viennent se superposer aux inégalités de classes. Cette articulation entre plusieurs formes de rapports de domination a été particulièrement bien analysée par les juristes et sociologues américains. Elles sont à l’origine du concept d’intersectionnalité qui permet d’articuler différents niveaux de domination pour mieux saisir la complexité des inégalités subies et ressenties. Ainsi, pour notre thème, nous devons avoir en tête que les rapports de classe doivent s’articuler avec les dominations genrées pour mieux saisir le poids des inégalités subies par exemple par les précaires qui doivent nettoyer les chambres des hôtels Formule 1 en moins de 10 minutes. Je te conseille de lire Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas qui relate ces ‘petites vies’.
C. L’individualisation de la société
Les sondages montrent que la conscience d’appartenir à une classe sociale s’amoindrit au fil des années. L’individu aujourd’hui se définit éventuellement par sa position dans la hiérarchie sociale, mais aussi, comme on l’a déjà vu, par sa position dans le cycle de vie, autrement dit le fait d’être plus ou moins jeune, et par d’autres critères qui font que l’identité individuelle s’autonomise. Cela caractérise l’individualisation de la société, c’est-à-dire que la modernité entraine un processus d’autonomisation des individus dans la sphère publique, par exemple au travail ou dans les rapports avec la politique… mais aussi dans la sphère privée, dans la famille notamment. Ainsi, un jeune travailleur à la chaîne dans une usine s’identifiera moins à la classe ouvrière qu’à ses liens avec ses groupes de pairs qui partagent les mêmes loisirs et références musicales et culturelles.
Conclusion
Cet article t’a permis de mieux saisir comment on peut révéler les relations invisibles entre les différentes positions sociales, comme dirait Pierre Bourdieu. Nous avons vu que les critères sont multiples et qu’un regard sur l’histoire récente est nécessaire pour comprendre les transformations singulières liées à la salarisation, tertiarisation et féminisation. Nous vivons une société complexe où les rapports de classes ont encore un sens, mais doivent s’analyser en s’articulant notamment avec les rapports de genre. Enfin, il faut prendre en compte l’individualisation de la société qui accompagne la nouvelle modernité, comme le souligne notamment le sociologue Olivier Bobineau.
QCM (entre 0 et 3 réponses possibles)
Corrigé à la fin de l’article.
1) Les critères du classement en Catégorie socioprofessionnelle sont :
a. le revenu b. l’âge c. la qualification
2) nous pouvons dire que :
a. la hiérarchie des CSP est corrélée au revenu.
b. elle n’est pas corrélée au revenu.
c. elle est corrélée au diplôme.
3) La tertiarisation a :
a. augmenté la salarisation des actifs.
b. permis aux femmes d’être plus visibles sur le marché du travail.
c. provoqué la baisse des niveaux de qualification.
4) Cela correspond à la notion de classe sociale selon Weber :
a. la classe en soi et la classe pour soi
b. la dimension économique de la stratification sociale de la société
c. la lutte des classes
5) Cela correspond à la distance inter-classe
a. le pouvoir d’achat a tendance à s’homogénéiser grâce à la montée de la classe moyenne.
b. l’intervention des pouvoirs publics a permis de réduire la distance inter-classe.
c. la distance entre les ouvriers qualifiés et non qualifiés est plus marquée.
6) Les rapports de genre :
a. représentent avant tout la lutte des homosexuels.
b. sont indépendants des rapports de classes.
c. sont liés à la domination masculine.
7) L’individualisation :
a. caractérise un processus d’autonomisation des individus.
b. relativise l’analyse de classe.
c. est un phénomène négatif dans la société d’aujourd’hui.
8) Quel est le plan approprié au sujet : vous montrerez qu’une approche en termes de classes sociales reste pertinente pour rendre compte de la société française actuelle.
a. I. La société française actuelle est une société de classe.
II. Pour autant, il existe des remises en cause à la société de classe.
b. I. L’existence de classe en soi est encore une réalité.
II. Le sentiment d’appartenance montre l’existence aujourd’hui de classes pour soi.
c. I. La distance inter-classe diminue.
II. La distance intra-classe augmente
MAJ juin 2024 @ Philippe Herry
Corrigé du QCM
1) c
2) a. c
3) a. b
4) b
5) a. b.
6) c.
7) a. b.
8) b.
Le plan a. correspond à une réponse du cours mais ici, dans la question, on demande d’insister sur l’existence des classes sociales dans notre société.
Le plan c. correspond à une analyse vue en cours qui n’est pas celle que l’on doit développée ici.
Bonjour,
J’aimerais savoir ce qu’il y a dans la partie I. La structure de la société française, car rien ne s’affiche!
Bonjour,
Excusez moi du retard à répondre mais j’étais en vacances. Vous avez raison, la page est en construction car on doit adapter nos cours à la réforme, et je dois travailler dessus. N’hésitez pas à revenir vers moi pour toute demande, interrogation ou besoin d’aides.
Très cordialement,
merci beaucoup pour ce cours.