Le capital économique culturel et social ! Pierre Bourdieu (1930-2002), le célèbre sociologue français, employait le terme ‘capital’ pour désigner toutes les formes de ressources sociales. L’accumulation de ces capitaux permet aux individus d’obtenir des avantages sociaux.
Des capitaux dont les familles sont plus ou moins bien pourvus
Le capital économique
Il désigne l’ensemble des ressources économiques d’un individu. Cela comprend les revenus (le flux régulier) et aussi le patrimoine (le stock de capitaux financiers et non financiers).
Le capital économique peut largement favoriser les enfants de milieu favorisé pendant la scolarité. Notamment, les cours particuliers en science ou en langue. Mais aussi les stages d’anglais intensifs à l’étranger. Bien sûr pendant la poursuite des études après le bac, cela peut devenir un point crucial. Lorsqu’on souhaite par exemple réaliser des études payantes, comme les écoles de commerce.
Le capital culturel
Cela représente l’ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu. Plus précisément, on peut percevoir ces ressources selon 3 formes distinctes. Tout d’abord, ces ressources sont incorporées (c’est le savoir et le savoir-faire, les compétences, la façon de s’exprimer …). Ensuite elles sont objectivées (par des possession d’objets culturels, comme des tableaux, des livres, …). Enfin ces ressources culturelles sont institutionnalisées (ainsi on possède des titres ou des diplômes scolaires ce qui permet de légitimer notre capital culturel).
Pierre Bourdieu, dès son premier ouvrage de référence Les Héritiers, écrit en 1964 en partenariat avec Jean-Claude Passeron, met en avant l’importance de ce capital culturel. Il a alors révélé par des pratiques et faits tangibles , un processus ‘invisible’ qui permet d’expliquer les inégalités scolaires. Bernard Lahire va compléter ce travail en travaillant sur l’investissement familial qui diffère selon les familles.
Le capital social
C’est l’ensemble des ressources qui sont liées à la « possession d’un réseau durable de relations ». Cela nécessite un travail régulier pour entretenir ce réseau.
Dans le langage courant, cela fait référence notamment au ‘piston’. On peut l’illustrer de multiples façons. L’obtention d’un bon stage va dépendre notamment des relations de la famille. Le job d’été plus ou moins formateur est aussi souvent relié au capital social. Et bien sûr, les connaissances qui vont aider pour l’obtention d’un premier emploi…
Le capital symbolique
Cela désigne toute forme de capital (culturel, social, ou économique) ayant une reconnaissance particulière au sein de la société .
Ce capital symbolique, entoure notre identité culturelle. Il peut ancrer une certaine forme de confiance en nous. Nous n’avons pas le même rapport au monde, en étant fils d’un écrivain célèbre ou enfant d’ouvrier non qualifié.
Le saviez-vous?
Le capital érotique
S’inspirant des travaux de Pierre Bourdieu, la sociologue britannique Catherine Hakim a défini au début des années 2000, le concept de capital érotique. Il s’agit d’une ressource sociale liée à l’attrait sexuel possédé par un individu voire un groupe d’individus. Effectivement, empiriquement, on se rend compte, relativement facilement, que l’attrait sexuel est un capital qui peut-être valorisé par celui ou celle qui le possède. La force de Catherine Hakim et des sociologues qui ont poursuivi des travaux ayant trait au capital érotique, est de rendre robuste la définition grâce à de nombreuses études qui montrent très clairement une corrélation forte dans différents domaines entre la possession d’un capital érotique et une meilleure rémunération ou une meilleure carrière entre autre. Le capital érotique serait même subversif car il tend à remettre en cause les structures de classes.
Le cumul des capitaux
Les différents capitaux accumulés permettent d’expliquer en partie, une scolarité plus ou moins réussie et une certaine forme de mobilité sociale. Ainsi Pierre Bourdieu et les sociologues qui poursuivent le travail, révèlent les forces invisibles qui maintiennent une certaine forme de reproduction sociale. C’est ce travail que je te propose d’illustrer ci-dessous.
Illustration du concept de capital en sociologie
Le texte extrait de La Misère du monde dirigé par Pierre Bourdieu a plus de trente ans. Pourtant, il n’a pas perdu une ride. C’est pourquoi, je te le propose en exercice. Il s’agit de repérer les différences entre les capitaux économiques, culturels et sociaux.
Emmanuel étudiant en histoire
« Emmanuel, étudiant d’histoire en deuxième année de DEUG (1) à Paris-IV Clignancourt, et sa sœur aînée sont les premiers de la famille à faire des études supérieures ; ils en sont très conscients et en tirent une certaine fierté. Leur père ouvrier dans une petite entreprise d’alimentation de la banlieue est de Paris (il gagne 1200 € par mois), a été à l’école « jusqu’à l’entrée au collège ». Leur mère est secrétaire dans la fonction publique ; elle aurait voulu être sage-femme et n’a pas pu faire d’études ; elle n’a pas le bac, mais elle suit activement la scolarité de ses enfants. La sœur a un BTS de bureautique et prépare un concours pour être enseignante. Pour le moment, elle gagne sa vie comme « pionne »(2).
Une famille de paysans et d’ouvriers
La famille d’Emmanuel, originaire de l’Aisne, est composé essentiellement de paysans et d’ouvriers. « Il y en a qui s’en sont tirés, disons naturellement, mais ils n’ont pas fait d’études, ils sont routiers, ils tiennent des restaurants, ils vivent à la campagne. »
Il se sent « paumé »
Après avoir redoublé sa terminale dans un lycée de grande banlieue « à mauvaise réputation » Emmanuel a obtenu son bac B (1) à l’oral de rattrapage. Il a réussi à se faire inscrire à Paris-IV, sur la recommandation d’un chef de service du ministère de l’Éducation nationale, où travaille sa mère, . Là, il se sent « paumé », notamment par rapport à l’univers familier du lycée. La faculté lui apparait comme le lieu de l’arbitraire, comme une immense loterie. Il a le sentiment de ne pas être à sa place dans ce lieu où il s’est introduit grâce au « piston ». Il est doublement isolé.
Coupé de ses anciens copains
Coupé d’abord de ses anciens copains de lycée qui se retrouvent à la faculté de Saint-Denis. Incapable de créer de nouveaux liens avec les autres étudiants. « On est d’accord sur rien parce qu’ils viennent pas du même milieu, à partir de là, les idées sont pas les mêmes, c’est obligatoire »).
C’est tiré au sort
Comme beaucoup d’étudiants (près de la moitié), Emmanuel ne sait pas bien pourquoi, après avoir été refusé à l’inscription pour un BTS d’action commerciale, il a choisi l’histoire plutôt que l’économie. Il se rappelle avoir obtenu de bonnes notes en histoire au bac. S’il connait les études auxquelles l’histoire l’engage, il ne sait absolument pas à quoi elles vont le mener. Il redoute de devenir professeur. Mais il aurait éventuellement voulu être instituteur, sans passer par une école normale (3). Dès la période des inscriptions à la faculté, il a failli renoncer parce que c’était « tiré au sort », et qu’il est « tombé » le dernier jour, et que « le dernier jour il n’y a plus rien » (…).
Une mauvaise orientation
Mais la résignation l’a emporté et il explique à un professeur qui lui demande ce qu’il fait en histoire : « comme je lui ai dit, si on m’accepte pas en BTS, si en histoire on m’accepte pas non plus, il n’y a plus rien à faire dans ces cas-là ». N’ayant passé que deux unités de valeur la première année, alors qu’il faut en passer six pour espérer obtenir le DEUG en trois ans ou s’arrêter. Il est dans le cas de beaucoup d’étudiants qui, se rendant compte au bout de deux mois de leur mauvaise orientation, doivent attendre la fin de l’année pour recommencer faute de pouvoir changer en cours d’année.
Un avenir incertain
Son avenir est très incertain. « Si je ne réussis pas cette année, faut que j’arrête », à moins de passer des concours administratifs. Il est méfiant à l’égard des « facs politisés » . Il est critique à l’égard des professeurs qui sont là « pour casser, pour éliminer ». La rumeur dépeint les examens comme une sorte de loterie. Il va jusqu’à juger néfaste la formation d’historien de ses professeurs. Selon lui, cela contribue à accroître l’écart entre les exigences de l’institution et ses propres capacités. « Je suis pas historien ! Je suis là pour apprendre. »
Il ne lit pas
La description de la vie quotidienne d’Emmanuel à la faculté est très éloignée des récits enchantés de la vie de l’étudiant, dont, finalement, il n’a que la carte. Pour être dilettante ou amateur, il faut savoir jouer avec les règles. Mais il ne connait pas les usages de l’univers étudiant. « Quand on arrive en DEUG la première année, on sait pas ce que c’est. On sait pas ce qu’il faut faire. On sait pas comment il faut travailler ». (…) L’ensemble des équipements de travail d’un étudiant ordinaire lui semble inaccessibles ou d’un usage impossible. La bibliothèque est le seul lieu pour s’asseoir. La lecture conseillée est souvent en anglais – qu’il ne lit pas – . L’achat de livres rares ou épuisés lui semble impossible. L’accès au restaurant universitaire ou à des équipements sportifs nécessite une grande patience.
Le désenchantement
A plusieurs reprises, il dira qu’il se sent « bloqué », parce qu’il manque d’argent pour sortir, parce qu’il n’ a pas le permis de conduire. Parce qu’il habite en banlieue, et qu’il est difficile d’y faire venir des amis. Sa vision de la politique, constituée dans des confrontations difficiles avec un père militant communiste, est résignée : toutes les discussions, les réunions, notamment politiques, qui furent en d’autres temps une dimension essentielle de la manière d’être et de se faire étudiant, lui paraissent du temps perdu. pourtant nouveau venu à la condition étudiante, Emmanuel est déjà un étudiant « rangé » et désenchanté. (…)
Il est conscient d’avoir été renvoyé dans les études d’histoire par toute une série de refus. Emmanuel se sent comme en sursis dans un enseignement supérieur qui n’est pas fait pour lui et pour lequel il n’est pas fait. »
Source
Compte rendu d’un entretien réalisé en octobre 1990 par Gabriel Balasz, dans La Misère du monde, 1992, livre collectif dirigé par Pierre Bourdieu.
Annexe
La vie d’Emmanuel comme étudiant montre les manques de capitaux.
En terme de capital économique : ‘il se sent « bloqué », parce qu’il manque d’argent pour sortir et l’achat de livres rares ou épuisés lui semble impossible. Concernant le capital culturel : la lecture conseillée est souvent en anglais, qu’il ne lit pas. Pour finir, le capital social. Emmanuel habite en banlieue, et il est difficile d’y faire venir des amis.
Finalement tous ces manques vont amener Emmanuel à arrêter rapidement ses études.
(1) cela correspond à l’ancien bac ES, puis le DEUG qui correspondait à Bac+2
(2) la ‘pionne’ est une surveillante au collège ou lycée
(3) L’école normale formait autrefois les instituteurs après le baccalauréat.
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MAJ juin 2022 @ Philippe Herry