L’action de l’école pour l’individu et la société ?
Dans notre société moderne, la place de l’école n’a cessé de s’affirmer comme un socle indispensable à la formation du citoyen. Se faisant, l’école et la légitimation par le diplôme sont devenus un des facteurs clés de la mobilité sociale (voir le chapitre). Il s’agira dans ce chapitre de mieux cerner les évolutions de la société qui ont permis de mettre en place l’école au cœur de la société. Il s’agira également de comprendre que, malgré les efforts réalisés pour permettre l’égalité des chances, des inégalités scolaires persistent. Un regard sociologique nous permettra de mieux cerner les forces qui empêchent une école plus juste.
Les notions du programme à connaître : école, égalité des chances, méritocratie, massification, taux de scolarisation, démocratisation scolaire, capital culturel, effet-établissement, effet-classe, effet-enseignant, stratégie scolaire, socialisation genrée.
Le questionnaire pour vérifier tes connaissances est à la fin de l’article.
I. Un rôle de l’école qui s’affirme au fil du temps
A. L’école transmet à tous une culture commune
Un socle commun de connaissances
Que l’on soit bien d’accord : ce thème évoque l’école au sens large. En d’autres termes, l’institution scolaire qui commence dès l’école maternelle et qui se poursuit au-delà du baccalauréat avec les études supérieures. Il s’agit de la formation initiale qui va permettre notamment une insertion professionnelle plus ou moins réussie. Il existe dorénavant un large consensus sur l’idée que l’école doit permettre la transmission des connaissances minimales. Cela concerne notamment les sciences, l’histoire, la géographie, le français et les langues. De même, l’école aussi doit permettre une éducation sportive ou artistique. Par ailleurs, l’école transmet du savoir-faire, par exemple savoir rechercher et sélectionner l’information. On prendra comme illustration : savoir analyser un texte, savoir écrire un texte structuré, savoir faire une analyse critique. Mais aussi, il existe le savoir-être. Par exemple, savoir prendre la parole et s’exprimer avec un langage châtié, savoir écouter l’autre et accepter des idées différentes, etc. Cette transmission des savoirs doit permettre à tous les individus d’avoir les mêmes chances de poursuivre des études selon son mérite et son talent. Il s’agit ici de la méritocratie, c’est à dire un système qui avantage les plus méritants.
Des inégalités justes
Il faut donc permettre à tous d’avoir les mêmes accès à cette culture commune pour obtenir une ‘inégalité juste’ pour reprendre les termes du sociologue français François Dubet. C’est ainsi que le constat de difficultés scolaires majeures dans certains quartiers difficiles a amené les différents ministères de l’éducation à prôner une forme de discrimination positive. C’est-à-dire donner plus de moyens scolaires à ceux qui en nécessitaient le plus dans les quartiers défavorisés. Il s’agissait des Zones d’Education Prioritaires (ZEP) qui sont devenues des Réseaux d’ Education Prioritaire (REP) voire des REP+.
B. L’école prend lentement sa place dans la société.
L’éducation pour tous : une idée ‘nouvelle’
Si on considère le temps long, alors, dans la plupart des sociétés, il n’a jamais semblé nécessaire de scolariser massivement. La volonté de généraliser au minimum les premiers rudiments des connaissances, à savoir lire, compter, écrire, est apparue tardivement. Notamment, lorsque le monde du travail a évolué et que ces rudiments sont devenus indispensables. D’autre part, l’école permettait de transmettre un langage commun, des valeurs communes et des références communes. Cela assure alors l’ordre et la stabilité de la société. On retrouve alors au cours du XIXe de nombreuses réformes dans les pays qui se transformaient avec la Révolution industrielle, permettant une scolarisation à plus grande échelle.
Les dates historiques
En France, cela s’est traduit dès 1833 par la loi Guizot. Elle impose dans toutes les communes de plus de 500 habitants l’obligation de se doter d’une école primaire pour les garçons. Tu as bien lu, pour les garçons ! On considérait en effet largement à cette époque que le rôle dévolu à la femme dans la société ne nécessitait pas la scolarité des filles.
Entre 1881 et 1883, les lois Ferry de la 3e République française instituent l’instruction primaire publique, laïque et gratuite, pour les filles et garçons de six à treize ans. Un ‘bataillon’ d’instituteurs, qu’on nomme parfois les hussards de la République, a alors sillonné toutes les communes de France pour apporter cette instruction minimale. Certains élèves, parfois même de milieu modeste, poursuivaient après l’obtention du Certificat d’Étude.
C. La massification de l’école après la Seconde Guerre
La massification scolaire
Après la Seconde Guerre mondiale, la grande transformation de la société pendant les Trente glorieuses a amené les dirigeants à poursuivre l’obligation de former et de qualifier plus d’individus. C’est la massification scolaire
autrement dit, une augmentation du nombre d’enfants qui ont accès à un certain niveau scolaire. Après la Libération, le projet Langevin-Wallon va rester une référence pendant longtemps. Il s’agissait alors de mettre en place une école obligatoire gratuite jusqu’à 18 ans. On distinguait cependant après 15 ans l’enseignement général et professionnel. En 1959, avec la loi Berthoin, l’école est rendue obligatoire jusqu’à 16 ans. Puis avec la loi Haby en 1975, on instaure le collège unique. Autrement dit, une même classe d’âge aura accès au même socle de culture commune jusqu’à 16 ans. En 1985, dans la foulée de la création du bac professionnel, le ministre de l’Éducation de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, annonce l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac.
Le taux de scolarisation
Toutes ces mesures, mais aussi la volonté des parents et des enfants de poursuivre leurs études, expliquent l’extraordinaire envolée du taux de scolarisation, c’est-à-dire la proportion de jeunes d’un âge déterminé qui sont scolarisés.
Évolution du taux de scolarisation par âge et par année scolaire (en %)
âge au 1er janvier | 1985-1986 | 1995-1996 | 2005-2006 | 2015-2016 |
14 ans | 99.2 | 99.8 | 98.8 | 97.7 |
15 ans | 98.1 | 98.3 | 96 | 97 |
16 ans | 91.4 | 96.8 | 94.7 | 94.8 |
17 ans | 82.2 | 93.1 | 89.6 | 91.9 |
18 ans | 58.6 | 84.8 | 77.2 | 78.4 |
19 ans | 40.3 | 72.1 | 63.8 | 64.7 |
20 ans | 26;7 | 58 | 51.1 | 53.1 |
21 ans | 19.5 | 44.8 | 40.7 | 43.6 |
22 ans | 14.1 | 33.1 | 33.1 | 35.9 |
23 ans | 10.3 | 22.9 | 23.8 | 26 |
24 an | 8.1 | 14 | 16.2 | 17.7 |
25 ans | 6.3 | 9.8 | 11.2 | 11.3 |
Moyenne14-29ans | 35.6 | 46.6 | 44.9 | 45.7 |
Champ : France métropolitaine puis à partir de 2005-2006 France hors Mayotte
Source: Formation et emploi, INSEE, Références 2018
A toi de jouer ! Comme d’habitude tu vérifies que tu es capable de faire une phrase avec un chiffre du tableau. Puis tu repères quelques chiffres importants qui vont illustrer les idées principales sur l’évolution du taux de scolarisation en France depuis 1985.
D. Une démocratisation scolaire à nuancer
L’idéal de la démocratisation scolaire
De quoi parle-t-on exactement ? La démocratisation scolaire
c’est le processus de réduction de l’influence des variables socio-économiques sur les chances d’accès aux diplômes et à la formation. De nombreux sociologues de l’éducation ont travaillé sur ce concept. Le sociologue Alain Prost emploie la notion de démocratisation quantitative, ce qui correspond à la hausse des effectifs scolarisés, ce qui renvoie à la notion de massification. Or, en soi, cela ne correspond pas exactement à la vision d’égalité des chances, comme le souligne le sociologue Pierre Merle. Ce dernier insiste plus sur la démocratisation qualitative. Cela désigne l’affaiblissement de la liaison entre origine sociale et destinée scolaire. Autrement dit, que je sois fils d’ouvrier ou de cadre, fille ou garçon, dans une banlieue ou au centre ville, à Paris ou dans une ville moyenne, je devrais avoir les mêmes chances d’obtenir un diplôme désiré si je m’en donne les moyens. La notion de démocratisation scolaire qualitative va de pair avec celle de méritocratie vue plus haut.
Une démocratisation scolaire relative
Or, comme tu t’en doutes, la démocratisation scolaire reste relative, et cela pour deux raisons principales. Tout d’abord, on constate que les filières restent différenciées. Ainsi, le pourcentage d’enfants d’ouvriers ou d’employés qui poursuivent en baccalauréat professionnel est plus important que celui des enfants de cadres. De plus, après l’obtention du bac, il y a beaucoup plus d’enfants de milieu favorisé dans les écoles dites prestigieuses que d’enfants de milieu plus modeste. À tous les étages de la scolarité, les inégalités scolaires s’enchaînent et se traduisent à la fin par une véritable différence selon l’origine sociale.
Partons alors à la recherche des inégalités non dites pendant la scolarité qui se veut méritocratique, mais que dévoilent les sociologues.
II Comment expliquer les inégalités de réussite scolaire ?
A. Le rôle du capital culturel et des investissements familiaux
L’analyse critique de Pierre Bourdieu
À travers le chapitre sur la mobilité sociale, nous pouvons déjà croiser le raisonnement permettant de comprendre que les familles mieux dotées en capital économique, culturel et social vont transmettre aux enfants des aptitudes et des dispositions, ou, comme dirait Pierre Bourdieu, des habitus de classe. Cela va expliquer des réussites scolaires plus importantes des enfants de milieu favorisé que des enfants de milieu plus modeste. Bernard Lahire, sociologue français né en 1963, déjà croisé dans les chapitres de première, analyse alors plus finement les processus qui vont relier les différentes configurations familiales à la réussite scolaire.
Des investissements familiaux qui diffèrent selon les familles.
Selon lui, la réussite ou l’échec scolaire pourra s’expliquer par la plus ou moins grande consonance ou dissonance entre les configurations familiales et le système scolaire. Ainsi, le rapport à l’écrit dans la famille ou encore le fait d’avoir une vie organisée avec des repères bien marqués est en consonance avec les attendus de la scolarité. De plus, une analyse plus fine nécessite de distinguer la fratrie à l’intérieur de la famille. En effet, dans certaines familles modestes ou pas, le cadet, la cadette, va profiter de l’expérience scolaire de l’aîné(e), ce qui indéniablement va modifier le rapport au scolaire. En conséquence, le capital culturel ne pourra être transmis qu’à condition qu’un certain nombre de conditions soient remplies. L’héritage culturel analysé par Pierre Bourdieu nécessite, nous dit Bernard Lahire, un certain nombre de conditions objectives pour être transmis aux enfants. Il s’agit notamment des investissements familiaux c’est-à-dire les ressources que la famille met en place pour favoriser la réussite scolaire. Cela va jouer un rôle quel que soit le milieu social. L’implication de la famille, des parents ou de la fratrie, ou encore l’intérêt de la famille pour l’école seront déterminants.
B. Les effets des stratégies des ménages
Les stratégies des ménages
Sur-estimation des risques et sous-estimation des avantages
C. Une école unique ou des écoles différentes ?
Il s’agit ici d’écrire des choses que tu pressens ou dont tu as été témoin ou même acteur. En effet, on connait les stratégies des parents qui vont choisir d’habiter à côté d’une institution scolaire qui est ‘cotée’ et, a contrario, les effets d’évitement d’établissements publics à ‘mauvaise réputation’ avec une fuite vers des établissements privés. Tout cela est connu et compréhensible d’un point de vue individuel, car en effet, on ne peut reprocher aux parents de vouloir le meilleur pour leurs enfants, et en même temps, c’est malheureux d’un point de vue collectif, car on sait très bien aujourd’hui que les pays avec les établissements qui accueillent une réelle diversité d’élèves obtiennent de meilleurs résultats scolaires en moyenne.
Mais existent-ils réellement un effet-établissement ? Un effet-classe ? Un effet-maître ?
C’est toute la difficulté et la prouesse des sociologues comme Agnès Van Zanten, qui tentent de repérer et mesurer l’effet établissement, effet-classe ou effet-maître. De quoi parle-t-on exactement ?
D. L’effet-établissement, l’effet-classe et l’effet-maître
Le bon établissement : un atout recherché
Il s’agit de montrer que l’établissement ou la classe ou l’enseignant vont jouer un rôle et vont permettre d’expliquer plus ou moins des taux de réussite différents, alors même que les élèves sont socialement comparables.
Les travaux montrent que l’effet-établissement joue un rôle modeste dans la réussite de l’élève, mais par contre, on peut entrevoir un renforcement des inégalités. En effet, les établissements qui doivent lutter pour l’attention des élèves et contre le décrochage n’ont pas le temps de mobiliser un temps fort à l’orientation scolaire. Cela est tout autre dans les établissements plus favorisés où la poursuite des études pourra être individualisée avec des informations et des conseils pertinents.
C’est la classe !
L’effet-classe et l’effet maître
L’effet-classe c’est tout simplement l’idée que les taux de réussite seront meilleurs dans une classe plutôt qu’une autre. On connait le poids du groupe qui va permettre à l’élève de se sentir en confiance ou au contraire de se sentir harcelé par ses camarades. La vigilance des CPE peut être plus ou moins importante et jouer un rôle favorable ou pas pour la bonne poursuite des études. De plus, quelques bons élèves placés dans une classe peuvent jouer un effet Pygmalion, c’est-à-dire qu’ils peuvent servir de modèles et entrainer un effet d’imitation qui va servir d’émulation à la classe. Cela est encore plus vrai pour les enseignants qui, à diplôme égal, peuvent plus ou moins s’investir et amener les élèves à comprendre les attendus explicites du programme. Les sociologues montrent que l’effet-maître joue un rôle non négligeable dans la réussite scolaire.
Pour terminer ce chapitre, revenons sur les distinctions filles-garçons.
E. Les effets d’une socialisation différenciée selon le genre
Une orientation genrée
Dès la seconde, tu as été sensibilisé à la notion de socialisation genrée. On rappelle que c’est le processus par lequel on transmet aux garçons et aux filles des valeurs, des normes et aussi des attentes différentes. En première aussi, on a insisté sur l’idée que le poids des attentes familiales, les représentations des garçons et des filles, mais aussi les discours et les attendus jouent un rôle dans une poursuite d’études différenciée entre les filles et les garçons. On constate ainsi qu’à résultat identique, les filles auraient tendance à sous estimer les possibilités de poursuivre dans les filières les plus sélectives. D’autre part, les choix des filières opérés peuvent donner des avantages certains aux garçons plutôt qu’aux filles.
Une expérience personnelle
Il y a maintenant plus de vingt ans, j’ai participé à une journée de sensibilisation avec mes classes de seconde. Une action de l’école en quelque sorte. C’était dans la région d’Ancenis, dans l’Ouest de la France. Cette région, à l’époque bien industrialisée, connaissait un faible taux de chômage des hommes actifs. Par contre, celui des femmes restait relativement élevé. On s’est alors rendu compte que le poids des préjugés intériorisés par les filles les amenait à poursuivre une scolarité vers des filières relativement éloignées du monde industriel. Pourtant, ce secteur embauchait fortement dans cette région. Pour modifier le regard des filles qui étaient en seconde, on a alors organisé des ateliers théâtre où les filles se présentaient pour un entretien d’embauche dans un garage, par exemple. Nous participions à l’évolution des préjugés sur le rôle professionnel des filles.
En guise de conclusion
Ce thème sur l’action de l’école dans la société est souvent apprécié par les élèves. En effet, il met à jour une réalité quotidienne et permet de comprendre avec le recul nécessaire le rôle historique de l’école et l’objectif poursuivi d’égalité des chances. La deuxième partie du thème est très explicite pour beaucoup d’entre vous. On insiste sur la multiplicité des facteurs d’inégalités scolaires.
QCM (trouvez la bonne réponse)
Corrigé à la fin de l’article.
1) Dans ce chapitre, l’École est considérée comme :
a. le lieu de l’école maternelle et primaire.
b. l’ensemble des études jusqu’au baccalauréat.
c. l’ensemble de la scolarisation dans le cadre de la formation initiale.
2) La massification scolaire correspond à :
a. le nombre de collégiens et lycéens a augmenté, mais pas le nombre d’années d’études.
b. une augmentation du nombre d’enfants qui ont accès à un certain niveau scolaire.
c. un accès à des études égales pour tous.
3) L’égalité des chances correspond à :
a. la possibilité d’ accéder à une position sociale, indépendamment de son origine sociale.
b. la possibilité d’avoir les mêmes ressources économiques et sociales.
c. la gratuité de la scolarité.
4) Le capital culturel est :
a. une notion liée à Raymond Boudon.
b. l’ensemble des ressources liées au savoir légitimé.
c. un rapport social entre les différentes classes sociales.
5) Dans le cadre de la sociologie de l’éducation, les investissements familiaux, cela correspond à :
a. une notion liée aux travaux de Pierre Bourdieu.
b. des ressources mises en œuvre par la famille pour favoriser la réussite scolaire.
c. l’ensemble des placements effectués par la famille.
6) La socialisation genrée :
a. ne permet pas d’expliquer des différences scolaires filles-garçons.
b. montre que les filles réussissent en moyenne mieux que les garçons et font donc plus de parcours élitistes.
c. montre que les filles réussissent en moyenne mieux que les garçons, mais se dirigent moins vers des parcours élitistes.
7) Les stratégies scolaires par les familles permettent de comprendre les inégalités scolaires. C’est :
a. une vision en terme de coûts et d’avantages.
b. une analyse de Pierre Bourdieu.
c. une vision fausse de la société.
MAJ juin 2024 Philippe Herry
Corrigé du QCM sur ‘L’action de l’école pour l’individu et la société ?’
1) c
2) b
3) a
4) b
5) b
6) c
7) a