Indignez-vous ! C’est l’essai de Stéphane Hessel écrit à la fin de sa vie, juste avant les mouvements des indignés qui ont éclaté un peu partout. On peut citer Los indignados à la Puerta del sol à Madrid ou Occupy Wall Street à Manhattan qui ont pris de l’ampleur en 2011 mais aussi le Printemps arabe avec l’ensemble des mouvements de contestation qui se sont étendus à travers de nombreux pays du Proche et Moyen-Orient et qui ont malheureusement eu pour conséquence, des drames humains et des massacres comme en Syrie.
Pourquoi s’engager en politique ? Qu’est-ce que l’engagement ? Voter, est-ce s’engager ? Nous allons montrer les multiples formes de l’engagement politique et puis surtout analyser les motivations de l’engagement et comprendre les facteurs ou dit autrement les déterminants de l’engagement politique.
Les notions essentiels du thème (définies ci-dessous) : engagement politique, consommation engagée, le paradoxe de l’action collective, les incitations sélectives, rétributions symboliques, structure des opportunités politiques, les répertoires politiques , mais aussi boycott ou buycott, nouveaux mouvement sociaux, partis politiques et syndicats de travailleurs
I. Les différentes formes de l’engagement politique
Je suis sensible à la cause animale et je désire ne plus consommer de viande. Est-ce un engagement politique ?
La réponse est Oui, car mon acte individuel vise, avec d’autres personnes qui agissent comme moi, à modifier l’ordre social. Autrement dit l’engagement politique c’est la manifestation d’un investissement dans la vie politique L’engagement politique ne peut pas être qu’une simple idée ou croyance, il faut une action, une participation. Ainsi on considère que le vote est une forme traditionnelle de l’engagement citoyen dans la vie publique, le militantisme est une forme d’engagement à travers des partis politiques, syndicats, associations ou Organisations Non Gouvernementales (ONG). Mais on considère aussi que la consommation engagée, le boycott ou le buycott est aussi une forme d’engagement politique puisque l’action individuelle vise collectivement à transformer l’ordre social.
A. Le vote et le militantisme : une forme d’engagement conventionnel
Le vote qui permet la désignation des gouvernants dans les démocraties, représentent à ce titre une forme d’engagement politique conventionnel. Le vote est l’expression du choix exercé par le citoyen qui se sent concerné par la Res Publica, la chose publique.
A. La construction de l’acte électoral
Quelques repères concernant les grandes étapes de la conquête du droit de vote en France
1791 : Sous la monarchie constitutionnelle, suffrage censitaire et indirect.
-> le vote est réservé à ceux qui paient un montant minimum d’ impôts. Ils votent pour des délégués qui éliront des députés
1799 : sous le Consulat, suffrage universel masculin, mais limité.
1815 : Sous la Restauration, retour du droit de vote avec le suffrage censitaire.
1848 : La République adopte le suffrage universel masculin.
1944 : Suffrage universel avec droit de vote pour les femmes.
1945 : Droit de vote pour les militaires de carrière.
1946 : Extension du droit de vote à tous les français d’outre mer.
1992 : droit de vote aux élections municipales pour les citoyens de l’UE.
1974 : Abaissement de l’âge de droit de vote de 21 à 18 ans.
On retient que l’acte électoral concerne un nombre de votants de plus en plus important. Il se démocratise.
La façon de voter a également changée. En préambule je te laisse lire le document extrait de Souvenirs, d’Alexis de Tocqueville, 1864
Dans ses Souvenirs, le comte A. de Tocqueville évoque les premières élections au suffrage universel masculin en 1848, dans son village normand, qui porte son nom. Il est alors candidat au siège de député de la nouvelle Assemblée constituante, suite à la Révolution de 1848, au lendemain de la chute de la monarchie de Juillet.
« Nous devions aller voter ensemble au bourg de Saint-Pierre, éloigné d’une lieue de notre village. Le matin de l’élection, tous les électeurs (c’est-à-dire toute la population mâle au dessus de 20 ans) se réunirent devant l’église. Tous ces hommes se mirent à la file deux par deux, suivant l’ordre alphabétique ; je voulus marcher au rang que m’assignait mon nom, car je savais que, dans les pays et dans les temps démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s’y mettre soi-même. Au bout de la longue file, venaient sur des chevaux de bât ou dans des charrettes, des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre ; nous ne laissions derrière nous que des femmes et des enfants ; nous étions en tout cent-soixante-dix. Arrivés en haut de la colline qui domine Tocqueville, on s’arrêta un moment ; je sus qu’on désirait que je parlasse. Je grimpai donc sur le revers d’un fossé, on fit cercle autour de moi et je dis quelques mots que la circonstance m’inspira. Je rappelai à ces braves gens la gravité et l’importance de l’acte qu’ils allaient faire ; je leur recommandai de ne point se laisser accoster ni détourner par ceux, qui, à notre arrivée au bourg, pourraient chercher à les tromper ; mais de marcher sans se désunir et de rester ensemble, chacun à son rang, jusqu’à ce qu’on eût voté. »
On comprend à travers ce document, que dans de nombreux villages à la fin XIX e, l’acte de voter est un rituel collectif qui se vit en communauté.
Pour prendre conscience de la construction historique de l’acte de voter, je te propose de lire un extrait ci-dessous du livre de O. Ihl
« En France, le vote secret fut […] considéré comme un moyen d’individualiser l’exercice du suffrage. La loi qui imposa l’isoloir et l’enveloppe en 1913 en favorisa l’application à travers la dissimulation de l’opinion. En réalité, le secret implique moins en France de dissimuler l’expression d’une opinion que d’en assurer le caractère individuel. […] Les formalités du secret permettent à l’Etat d’une nation centralisé d’entrer directement en relation avec chaque citoyen. De court-circuiter les systèmes d’allégeance périphériques. C’est la dimension proprement « révolutionnaire » du secret en France : neutraliser les hiérarchies communautaires, celles qui, hostiles à la domination de l’Etat, trouvaient un terrain de prédilection dans le vote d’assemblée. Individualiser les opinions, c’est miner les représentations organiques de la tradition, altérer l’ascendant des corps, briser l’autorité des communautés et des métiers. […] C’est sans doute la raison pour laquelle le vote s’est longtemps accompagné de procédés voués à dissocier l’individu de ses groupes d’appartenance : l’usage du serment pour garantir la pureté des opinions, l’obligation des brûler les bulletins émis pour préserver le secret des délibérations, l’élection au chef-lieu de canton pour affranchir des solidarités villageoises, l’appel par ordre alphabétique pour autonomiser les citoyens électeurs. Autant de mesures chargées, en fait, de matérialiser l’existence d’une société d’individus. […] Avec l’arrivée de l’isoloir, chacun est assuré du secret de son opinion car celle-ci est désormais entièrement privée. Jean-Paul Sartre l’a bien vu dans sa diatribe contre le vote secret (Les Temps modernes, 1973) : » L’isoloir, planté dans la salle d’école ou de mairie, est le symbole de toutes les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait partie. L’isoloir dit à chacun : « personne ne te voit, tu ne dépends que de toi-même ; tu vas décider dans l’isolement et, par la suite, tu pourras cacher ta décision ou mentir ». »
Olivier Ihl, Le vote, 1996
Ce texte nous montre le changement profond lorsque le vote fut rendu secret en 1913. L’acte devient individuel, la liberté de conscience est totale, puisqu’on peut s’exprimer librement dans le secret de l’isoloir. Cela a permis:
– réduire l’influence des leaders d’opinion sur le vote public
– réduire l’influence des patrons sur le vote de leurs salariés
– réduit l’influence des prêtres opposés à la République jusqu’à la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905.
Le militantisme est un engagement actif et bénévole dans un parti politique, un syndicat ou une association. Le militant engage un temps important à l’action collective mais n’est pas pour autant un professionnel puisqu’il ne s’agit aucunement d’un métier. A noter cependant que de nombreux professionnels de la politique, du monde syndical ou du monde associatif, commencent leurs carrières par un engagement militant.
B. Les autres formes d’engagement politique
La consommation engagée
Le boycott ou buycott
II. La dynamique de l’action collective
A. Le paradoxe de l’action collective
B. …
A. Vers les Nouveaux Mouvements Sociaux
Des mouvements sociaux aux Nouveaux Mouvements Sociaux …
Manifester, faire un sitting, pétitionner, ou encore réaliser un évènement au profit d’un intérêt général, assister à un concert au Bataclan … On peut constater de nouveaux modes d’engagements protestataires avec une logique différente de l’acte électoral. Les caractéristiques sont:
-> des actions innovantes et plus spontanées
-> de nouveaux acteurs (associations, coordinations) qui s’organisent en réseau
-> de nouveaux enjeux (culturels, politiques, économiques)
-> un engagement parfois ‘international’ : les « indignés »,
Les nouveaux modes d’actions ne se substituent pas, ni ne s’opposent aux actions traditionnelles. Ils sont complémentaires. On peut voter et dans le même temps faire un engagement protestataire. On doit donc atténuer la distinction entre forme d’action conventionnelle et non conventionnelle.
B. La notion de répertoire
Pour démarrer je te laisse lire le document ci-dessous de Charles Tilly (1929/2008) le sociologue américain à l’origine de l’expression ‘répertoire de l’action politique’
« Toute population a un répertoire limité d’actions collectives, c’est-à-dire des moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés. Ainsi, la plupart des gens savent aujourd’hui comment participer à une campagne électorale, fonder une association ou s’y affilier, mettre une pétition en circulation, manifester, faire la grève, tenir un meeting, créer un réseau d’influence, etc. Ces différents moyens d’action constituent un répertoire, un peu au sens où on l’entend dans le théâtre et la musique, mais qui ressemble plutôt à celui de la commedia dell’arte ou du jazz qu’à celui d’un ensemble classique. On en connait plus ou moins bien les règles, qu’on adapte au but poursuivi. »
Charles Tilly, La France conteste, de 1600 à nos jours, Fayard, 1986.
On retient la définition de répertoire d’action politique: » des moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés »
Ce concept a été élaboré par le politiste, dans le cadre de ses études de sociologie historique sur l’action collective en France et en Grande Bretagne depuis le XVII e siècle. Les moyens d’actions constituent finalement ‘un répertoire de standards’ que les acteurs peuvent mobiliser selon les ressources, les stratégies des acteurs, les contraintes de la situation. Chuck, nom familier de Charles, emploie également la notion de ‘répertoire d’actions collectives’ qui prend un sens plus large.
En fonction du contexte l’action politique prendra des formes multiples: pétition, manifestation, sit-in mais aussi vote, référendum ou encore autrefois charivari . Finalement, l’ensemble des modes d’action politique disponible dans une société à un moment donné de son histoire.
Ce concept permet de montrer que l’action politique est très dépendante du type de protestations auxquels recourent les groupes sociaux à un moment donné. Chaque groupe mobilisé maîtrise une liste particulière d’actions (un répertoire) en fonction de sa culture protestataire, de ses traditions, de ses savoir-faire.
C. Tilly a étudié différents répertoires d’actions politiques depuis 1650. Eric Neveu, sociologue spécialisé dans l’analyse des mouvements sociaux en a fait ce tableau synthèse
caractéristiques | Répertoire « local patronné »
(1650-1850) |
Répertoire ‘national autonome »
(1848-1980) |
Répertoire » transnational- solidariste » en gestation
depuis 1980 |
Type d’intérêts défendus | Liés au village, à la communauté.
sabotage des machines, expulsions d’agents des impôts |
Variés
Les intérêts sont portés par divers groupes: associations, syndicats, … |
Plus universels et techniques (environnement, lutte contre le mondialisation néolibérale, …) ONG, … |
Rapports aux autorités | Recours au soutien de puissants ‘patrons’: notables, prêtres ou nobles | Orgnaisation et porte parole autonome:
défi direct aux autorités |
Réticence à toute délégation politique, aux récupérations partisanes: forum, désobéissance civile; … |
Cadre de la protestation | Fête locale, rassemblements autorisés (carnavals, processions…) | Regroupement volontaire, organisation nationale | Du local au global:
forums sociaux, campement ‘d’indignés’, … |
Formulation des revendications | On détourne des symboles: pendaison de mannequin, brulage d’effigies, … | Explicite: programme, mot d’ordre, slogan, pétition, tract, manifeste | Militantisme d’expertise, rôle accru du droit et des médias: manifestation « de papier ». |
Liens de mobilisation | Les sites mêmes de l’injustice | Les sites symboliques : place de la Bastille (Paris), préfectures, … | Lieux symboliques: des réunions importantes … |
Niveau de violence | Élevé
Confrontation brutale |
Réduit
Protestation ritualisée |
Faible. Recul de la violence politique. |
Finalement, selon C. Tilly on peut repérer de réelles évolutions des répertoires d’actions politiques depuis 1650. Ainsi on constate un élargissement du type d’intérêt défendu et du cadre de l’action. Autrefois, on s’intéressait aux affaires du village et de la communauté villageoise, et maintenant on s’engage pour des causes mondiales comme par exemple la protection de l’environnement, la lutte contre la respect de la diversité, l’altermondialisme… .On peut aussi noter que les nouveaux répertoires d’actions politiques nécessitent davantage de compétences culturelles. D’autre part, on constate une autonomisation par rapport aux institutions morales ou politiques . Ainsi, l’individu se sent moins contraint. On assiste à un processus d’individualisation de l’action politique. Enfin, les nouveaux répertoires, ont moins recours à la violence nonobstant les débordements. Dans ce dernier cas, le focus des médias sur l’information-évènement, peut nous faire penser le contraire.
On retient deux idées principales parmi celles développées par CharlesTilly :
-Depuis quatre siècle, on observe une évolution des formes de protestations. Alors qu’autrefois, la protestation était localisée à la commune, au territoire, c’est ce que Claude Tilly appelle le ‘répertoire communal patronné’, on assiste par la suite à des répertoires qui ont plus souvent une envergure nationale et aujourd’hui nous repérons des répertoires transnationaux portés par des ONG et relayés par les médias.
– Une autre idée qui va à rebours des opinions : avec le temps les répertoires de l’action collective se font moins violentes, plus pacifiques.
B. Des acteurs qui se renouvellent
partis politiques, syndicats, associations, groupements
III. Les déterminants de l’engagement politique
Sociopolitique de l’engagement : les variables lourdes qui permettent de mieux analyser l’engagement politique
A. Catégorie socioprofessionnelle et diplôme, pour expliquer un engagement plus ou moins important
Les chiffres nous permettent de constater que les plus diplômés et les CSP plus favorisés ont statistiquement plus tendance à s’engager
B. Age et génération : une variable qui détermine le type d’engagement
Les jeunes sont moins présents dans les formes traditionnelles de l’engagement; Pour autant comme le souligne les sociologues du champ politique comme Anne Muxel, ils n’en sont pas moins engagés parfois dans des mouvements sociaux temporaires.
C. Le sexe : une variable qui détermine le type d’engagement
Les hommes sont statistiquement plus engagés que les femmes. On retrouve ainsi deux raisons principales. Le poids de la sphère privée qui on le sait est plus prenante pour les femmes que pour les hommes, peut éloigner les femmes de l’engagement. D’autre part, la socialisation politique est porteuse d’une culture politique où l’image de l’engagement masculin est largement véhiculé, Ces stéréotypes se modifient lentement au fil des années, ce qui explique parallèlement une augmentation de l’engagement politique féminin plus important aujourd’hui qu’autrefois.
IV. Pourquoi s’engager malgré le paradoxe de l’action collective ?
A. Le paradoxe de l’action collective
Modèle de Mancur Olson
B. Les rétributions symboliques
C. L’engagement est dépendant de la Structure des Opportunités Politiques (SOP)
Si tu veux vérifier tes connaissances :
QCM (entre 0 et 3 réponses possibles)
1) Cela correspond à un engagement politique
a. le vote
b. la participation à un boycott
c. militer pour une ONG environnementale
2) L’engagement politique est en moyenne plus élevé
a. lorsque la personne est plus diplômée
b. lorsque la personne est moins diplômée
c. pour les hommes que pour les femmes
3) Le paradoxe de l’action collective
a. permet de comprendre que les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’engager
b. est lié aux théories de Pierre Bourdieu
c. est une analyse liée à l’individualosme méthodologique
4) Le répertoire d’action collective
a. montre que les formes d’actions collectives évoluent selon les contextes historiques et géographiques
b. montre que la violence est d’un usage de plus en plus fréquente dans les actions collectives
c. est une analyse liée au chercheur Charles Tilly
5) L’action collective se transforme
a. car on constate de plus en plus de jours de grèves
b. car on constate de nouvelles revendications liées par luttes minoritaires
c. car on voit apparaître de nouveaux modes de contestation
le corrigé est ci-dessous
MAJ mai 2021 @ Philippe Herry
Corrigé du QCM
1) a, b, c , d
2) a, c
3) c.
4) a, c
5) b. c