Le conflit : facteur de cohésion sociale ou de changement ?
Mais pourquoi les salariés d’Air France font-ils toujours grève au moment des départs en vacances? Ils protègent leurs acquis sociaux au détriment de milliers de citoyens, entend-on régulièrement. Le conflit social est-ce uniquement une forme de résistance au changement ?
I. Les nouveaux conflits
Les conflits sociaux sont des oppositions entre des individus ou des groupes sociaux qui défendent des intérêts ou des valeurs en opposition, et cherchent à instaurer un rapport de force en leur faveur.
Remarque: les conflits sociaux ne sont pas synonymes de violence car ils induisent au contraire une forme de régulation.
A. Des changements perceptibles dans le monde du travail
La baisse des journées de grève
Cela peut sembler étonnant à certains mais depuis 1975, on constate en France, une forte baisse des journées de grèves. La médiatisation à outrance des mobilisations citoyennes surtout lorsqu’elles sont ternies par de la violence spectaculaire, peut modifier la perception de la réalité.
Cependant, on peut aussi considérer que la grève, forme traditionnelle de conflit du travail, entre salariés et employeurs, se modifie. Les conflits avec arrêt de travail ou les grèves de moins de 2 jours ou encore les débrayages, prennent de l’ampleur. Il en est de même pour les conflits sans arrêt de travail, comme le refus d’heures supplémentaires, les manifestations ou les pétitions.
Des conflits avec des formes différentes
Les conflits s’expriment avec des modalités particulières dans un contexte donné. Ainsi, dans les entreprises de petites tailles , la présence des syndicats y est moindre, donc les formes de conflits sont différentes. Par contre dans les établissements de plus grandes tailles la présence syndicale est déterminante dans l’organisation des conflits traditionnels. D’autre part, une augmentation des contestations individuelles comme, l’absentéisme ou le refus d’heure supplémentaire peuvent montrer une moindre capacité à se mobiliser collectivement. Pour autant on peut penser que les contestations individuelles ne remplacent pas les conflits collectifs mais ils se superposent à eux.
B. De nouveaux conflits apparaissent dans la société d’aujourd’hui
Le mouvement social est une ‘entreprise collective de protestation et contestation visant à imposer des changements.’ selon F. Chazel, sociologue à Paris-Sorbonne. Le mouvement social est donc une action collective particulière visant au changement. On peut distinguer les mouvements sociaux centrés sur la défense d’intérêts comme par exemple le pouvoir d’achat ou la défense de certains acquis sociaux, et ceux bâtis sur la défense de valeurs, par exemple ceux qui défendent l’environnement ou ceux qui défendent le droit à l’égalité pour certaines minorités.
Le post-matérialisme
R. Inglehart, sociologue et politologue américain; est à l’origine de la théorie du post-matérialisme. On est passé d’une société matérialiste à une société post-matérialiste avec des revendications autour de l’identité, la reconnaissance des droits. – les mouvements féministes, les mouvements pour la défense des droits des homosexuels, ou encore la défense de l’environnement –
Les NMS
Le concept de Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS) va dans le même sens. C’est un concept qui nait dans les années 60-70 à un moment où l’idéologie marxiste, centrée sur le monde du travail avec la lutte des classes, l’opposition entre dominants et dominés, laisse place à de nouvelles analyses, de nouveaux enjeux culturels qui vont clairement apparaître avec Mai 68. Des philosophes comme Gilles Deleuze ou Michel Foucault vont nourrir de leurs analyses ce nouveau concept, les NMS. Ils montrent que les oppositions sont multiples, transversales. Il s’agit de mouvements qui paraissent plus spontanés, moins soumis à une autorité, en quelque sorte plus anarchique, au sens noble du terme. Alain Touraine, sociologue français contemporain, né en 1925, va définir précisément ce qu’il entend par mouvement social dans Production de la société paru en 1973, juste après La société post-industrielle paru en 1969.
Les caractéristiques des NMS
Quelles sont les caractéristiques de ces nouveaux mouvements sociaux ?
– Les revendications sont bâties autour de valeurs non matériels. Ainsi la Gay pride est un moment festif, en faveur des droits de la communauté. En tout cas il s’agit de revendiquer une façon d’être autrement dit une identité propre. Cette identité se forge à travers la manière d’être des acteurs sociaux mais aussi à travers le regard que porte la société, les autres, sur les personnes. Ce n’est plus comme dans la lutte des classes une identité de classe sociale.
– Les formes des actions sont souvent plus spectaculaires. Au delà du traditionnel défilé il y a des actions médiatiques tels celle de Greenpeace qui lutte pour un monde plus respectueux de la nature, et qui lutte donc contre le réchauffement de la planète.
– Souvent les NMS ont des moyens d’actions plus souples, moins dépendants des grandes organisations.
II. Le conflit est-il une rupture du lien social?
A. Le conflit peut-être considéré comme une rupture du lien social
Emile Durkheim, toujours lui
Emile Durkheim (1858-1917) associe le conflit social à une forme de pathologie. Dans le livre 3 – chapitre – de son livre écrit en 1893 ‘De la division du travail social’, ils citent 2 formes particulières de pathologie:
– les crises industrielles ou commerciales qui provoquent une rupture de la solidarité organique
– les antagonismes de classes. Autrement dit des groupes sociaux distincts – les salariés d’un côté et les responsables,les patrons de l’autre côté. Cette forme de conflit devient plus conséquente avec la grande industrie qui se développe sous la deuxième Révolution Industrielle. Il se met alors en place une spécialisation trop marquée qui accentue les antagonismes de classes.
L’affaiblissement des règles
Le conflit serait donc l’expression d’une situation anomique c’est à dire l’affaiblissement ou l’absence de règles. Au delà de Emile Durkheim , le conflit assimilé à un conflit se retrouve chez les sociologues fonctionnalistes américains comme T. Parsons (1902-1979), sociologue américain, professeur à Harvard, et penseur clé dans l’idée que chaque acteur (le salarié, le manager, …) ou chaque institution (la famille, l’ Etat, …) a une fonction. Le conflit social est alors le signal de dysfonctionnement. On est en présence d’une pathologie.
Des conflits qui transforment la société
Pour autant, on constate que les conflits sociaux sont dans la réalité le fruit d’acteurs engagés, intégrés et non d’individus fragilisés. D’autre part, on ne constate pas que les conflits sociaux sont à l’origine d’une désintégration de la société mais au contraire permettent des transformations de la structure de la société. On peut citer pour exemple le Front Populaire ou Mai 68 qui ont permis des avancés singulières pour les droits des travailleurs et plus largement des citoyens.
Il est donc nécessaire de dépasser l’idée que le conflit est pathologique
B. Le conflit permet la cohésion sociale
Le conflit permet le lien social
Au delà du désordre temporaire, on peut s’apercevoir que le conflit structure la société. Ainsi, il est à l’origine d’une certaine socialisation par les interactions entre individus. Ils renforcent la cohésion interne des protagonistes, notamment pour la mobilisation des membres contre un acteur opposé, l’adversaire. Ils offrent un exutoire aux tensions sociales. Le conflit social peut alors être analysé non pas comme une pathologie mais plutôt comme une forme de lien social. C’est la vision notamment du sociologue allemand G. Simmel (1858/1918) qui est à l’origine de l’idée que la socialisation, les normes, … se mettent en place par l’interaction entre les individus – les actions réciproques – Ainsi, dans notre thème sur les conflits sociaux, les conflits sont des interactions qui génèrent un type particulier de relations sociales.
Le conflit permet la régulation sociale
Mais le conflit est aussi à l’origine de la régulation sociale. Les conflits permettent de mettre l’accent sur les nœuds des problèmes et se faisant permettre le dialogue social permettant de donner des réponses aux conflits. La régulation des conflits c’est la mise en place de normes et de procédures, d’organisations, d’institutions permettant de prendre en compte l’expression des mouvements sociaux et de cadrer leur forme, mais aussi qui permet d’organiser la négociation. Le rôle des syndicats est ici au premier plan. Le syndicat, au sens général, représente la réunion d’individus qui défendent un intérêt commun.
Le rôle des syndicats
Mais dans le thème des conflits, on pense plus spécifiquement aux syndicats professionnels avec d’une côté les syndicats des employeurs mais on dit plus souvent association ou mouvement et de l’autre les syndicats des salariés, qui défendent les intérêts des salariés et les représentent au cours des négociations ou bien dans les institutions. Quels sont les grands syndicats français ? Si tu le souhaites, regarde la frise historique ICI R. Dahrendorf (1929-2009), sociologue d’origine allemande est un spécialiste des conflits sociaux. Il pense que les conflits sociaux sont une lutte pour maintenir ou modifier la répartition de l’autorité
Pour autant, selon certains, les conflits ne viseraient qu’à la défense d’intérêts particuliers. Exemple: les cheminots manifestants pour le droit de garder un départ anticipé à la retraite. Analysons cela ci-dessous
III. Le conflit, une résistance au changement?
A. Une volonté de résistance ou …
Le conflit peut-être perçu comme une volonté de résistance au changement.
Les NIMBY (Not In My Backyard littéralement « Pas dans mon jardin ») est un acronyme qui représente l’ensemble des mobilisations visant à protéger son environnement proche. Par exemple, une mobilisation de voisins pour empêcher l’implantation d’une prison, d’un centre de soins aux toxicomanes, un refuge pour migrants, …
B. … de changement social
K. Marx (1818-1883) en son temps – voir le thème Comment se structure la société? – avait montré que la lutte des classes était moteur du changement.
L’histoire fourmille de nombreux exemples de conflits sociaux à l’origine des transformations des structures sociales …. le Front populaire et les avancées sociales pour les ouvriers , Mai 68 et la remise en cause d’une forme de sanction oppressive (par exemple au sein de l’éducation nationale, le Surveillant Général chargé de contrôler le bon ordre de l’établissement a laissé place au Conseiller Principal d’Éducation chargé de la bonne entente dans l’établissement), …, les NMS pour le droit à l’égalité des homosexuels et le mariage pour tous …
Finalement, selon les rapports de force … le conflit peut-être vecteur de changement ou de résistance au changement. Ainsi, le caractère de résistance des mouvements ouvriers aujourd’hui peut se traduire par le fait que les groupes concernés non plus les mêmes capacités en terme de ressources, d’organisation et de représentation qu’autrefois.
Conclusion
Ce thème t’a permis de repérer les différentes formes de conflits, des conflits traditionnels autour des conditions de travail aux nouvelles formes de conflits liées aux mouvements sociaux. Les modes de conflictualité ont aussi évolué, marqués par plus d’individualisme, moins de hiérarchie, et plus médiatisés…
Enfin, tu es capable d’organiser tes idées pour répondre aux deux questions clés autour des conflits. Une première question concerne le lien entre conflits et cohésion sociale/ Tu sais maintenant que l’on peut considérer le conflit comme un marqueur d’un mauvais fonctionnement de la société mais aussi que le conflit permet de construire du positif par la suite grâce notamment à la régulation sociale. Une deuxième question est liée à la dynamique de la société puisque les conflits transforment la société mais peuvent aussi être considérés comme des résistance aux changements.
Si tu veux vérifier tes connaissances :
QCM (entre 0 et 3 réponses possibles)
1) une pétition est considérée comme :
a. une forme de conflit
b. une forme de contestation qui ne correspond pas à un conflit
c. un nouveau mouvement social
2) les conflits sont marqués par
a. l’individualisation de la société
b. de nouvelles formes de revendications
c. les transformations de la structure des entreprises
3) la différence entre les conflit traditionnels et les NMS est que :
a. ils ont pour objectif de transformer la société
b. ils sont liés aux conditions de travail et la répartition de la valeur ajoutée
c. ils sont encadrés bien souvent par les syndicats des travailleurs
4) Les idées du sociologue G. Simmel mettent en avant que :
a. le conflit est un signe de problème pathologique de la société
b. les NMS ne permettent de résoudre les problèmes de société
c. l’individu est isolé
5) La frise du monde syndical français me montre que :
a. historiquement, le premier syndicat français est la CGT
b. la CFDT est issue de la CFTC
c. FO est issue de la CGT
6) Les idées de Karl Marx nous montrent que :
a. le conflit est inutile
b. le conflit permet de modifier la société
c. les NIMBY symbolisent la lutte des classes
7) Le conflit social :
a. permet de repérer les changements de valeurs dans la société
b. est un thème inutile pour comprendre la société
c. est un combat d’individus déviants
le corrigé est ci-dessous
MAJ avril 2020 @ Philippe Herry
Corrigé du QCM
1) a.
2) a. b. c.
3) b.c.
4) aucune réponse
5) a.b.c
6) b.
7) a.