Des cadres d’entreprises qui lâchent leurs carrières pour se lancer dans l’agriculture bio. Des personnes de milieu modeste qui font des carrières politiques improbables comme Nelson Mandela ou Coco Chanel ou d’autres. Comment expliquer certains parcours non attendus ? Il faudra tout d’abord nous replonger dans les étapes de la construction sociale de l’individu, avant d’envisager d’analyser la socialisation secondaire et les parcours improbables.
Des notions essentielles du programme (définies dans l’article) : socialisation, socialisation primaire et secondaire, agents de socialisation, norme, valeur, rôle, configuration familiale, socialisation genrée, socialisation professionnelle, socialisation conjugale, socialisation politique, socialisation anticipatrice, groupe de référence, trajectoire improbable
I. La construction sociale des individus et les différences de comportement
A. Une socialisation socialement située
La socialisation c’est » l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit, Dans la société dans laquelle il vit, l’individu va apprendre, intérioriser, incorporer, intégrer, des façons de faire, de penser et d’être qui sont socialement situés. » Comment cela fonctionne ?
Le processus de socialisation
On peut distinguer plusieurs étapes dans le processus de socialisation.
1e étape. L’apprentissage ou l’acquisition des connaissances, des modèles, des façons de faire et de penser, des valeurs et des normes de son entourage .
Il existe des modalités diverses qui conduisent à la construction de l’identité de l’individu. Illustrons cette étape à travers. Le père souhaite que son enfant finisse toute son assiette. Il peut utiliser alors 3 registres:
. imitation le père va finir son assiette pour que son enfant l’imite
. injonction (des règles) le père peut, plus ou moins subtilement, contraindre le fils à finir son assiette
. interaction par le dialogue, l’écoute, …le fils va comprendre qu’il faut finir son assiette
Petit rappel : Les valeurs correspondent aux idéaux auxquels adhèrent les membres d’une communauté. Les normes sont les règles de conduite en société. Avant d’aller plus loin je te conseille d’illustrer valeurs et normes par des exemples précis. Tu peux éventuellement revoir l’exercice proposé en seconde dans ce chapitre
2e étape. L’intériorisation des éléments culturels ou plus encore l’incorporation
L’individu va s’approprier les attitudes propres au groupe dans lequel il évolue. Les façon de parler, de manger, de se comporter … l’être va se « fabriquer » socialement. Cela va s’imprimer de façon inconsciente dans les esprits mais aussi dans les corps. C’est pourquoi on parle d’ incorporation.
3e étape. L’intégration de la personne à son environnement social
Grâce aux éléments culturels intériorisé l’individu va pouvoir communiquer, échanger, juger. Il va pouvoir partager ou rejeter des idées, des sentiments, des goûts, des aspirations… des valeurs et des normes. Bref, l’individu va se sentir intégré à la société. Il s’agit ici d’ailleurs d’un aspect essentiel de la cohésion sociale d’une société. In fine, la socialisation permet la maintenance d’un ordre social et facilité le contrôle social des individus. Nous employons ces termes sans jugement de valeur positif ou négatif.
De Piaget à Bernard Lahire
Emile Durkheim, le célèbre sociologue français considéré comme un des pères de la sociologie, insiste sur l’éducation comme une contrainte forte de la famille ou de l’école permettant d’acquérir les normes et les valeurs. Le psychologue suisse Jean Piaget va plus insister sur le caractère actif de l’individu qui se socialise. Il va ainsi insister sur les registres de l’imitation et l’interaction. L’imitation est bien sûr un registre fondamental. Cela se joue au quotidien, et c’est en grande partie de cette façon que les enfants vont se socialiser. Cette nécessite de reproduire les pratiques et les façons de faire observées, poussent d’ailleurs les tout-petits à reproduire les rôles observés en jouant ‘au papa et à la maman’. D’autre part, la socialisation peut aussi être le résultat ‘plus diffus de l’organisation de l’espace’ . C’est ce que précise le sociologue français contemporain Bernard Lahire. Ainsi l’espace social, comme par exemple des lieux différenciés pour les toilettes ou les vestiaires dans les lieux publics, réaffirment des différences socialement situées.
B. La socialisation explique les différences de comportements
Une socialisation différentielle
La socialisation différentielle, c’est le processus par lequel différents individus acquièrent des normes, des valeurs et ont des comportements différents. Nous allons tout d’abord considérer la différences de socialisation selon le milieu social d’origine puis nous étudierons le rapport au genre.
Tous les goûts sont dans la nature, Cet adage bien connu nous laisse à penser que le goût est propre à chacun, alors même qu’il s’agit d’une construction sociale. C’est ce que révèle notamment Pierre Bourdieu dans La Distinction, 1979. Ainsi, les pratiques sportives, les loisirs, la fréquentation des musées, le goût musical sont étroitement corrélés au milieu social d’origine. Des analyses plus récentes, notamment celle du sociologue français Bernard Lahire, complète cette analyse en montrant l’éclectisme culturel des milieux favorisés, qui ont plutôt une culture omnivore que d’autres milieux sociaux non pas. Ainsi la fréquentation de l’opéra et l’écoute de rap, le jazz et la musique classique sont des références musicales qui ne posent pas problème.
Des configurations familiales différentes
D’autre part, la famille véhicule certaines dispositions, c’est à dire des façons de faire, de penser, d’agir qui vont s’inscrire de façon inconsciente dans l’esprit. Cela va façonner des aspirations futures. Cela aura des conséquences sur les poursuites d’étude notamment. Ainsi, les tableaux statistiques nous montrent que les enfants de milieu favorisé sont plus nombreux en pourcentage à poursuivre des études longues que les enfants de milieu modeste. Les travaux de Pierre Bourdieu montrent ainsi le poids important du capital culturel dans la réussite scolaire. Mais Bernard Lahire, sociologue français contemporain, nous précise cependant que le comportement scolaire ne peut se comprendre qu’en analysant d’une façon plus fine les configurations familiales. C’est ce que nous verrons ci-dessous. Mais avant cela, étudions une autre socialisation différentielle qui induit des comportement et aspirations différents; la socialisation genrée.
La socialisation genrée
On emploie de plus en plus le concept de genre au lieu de sexe. Le sexe est l’élément biologique qui différencie Homme/Femme. Par contre, le genre est la construction sociale de l’identité sexuelle. Les sociologues du genre étudie la construction de l’identité d’un garçon et d’une fille ou encore les persistances d’inégalité sociale ou même économique. Par exemple pour un même niveau de diplôme, les rémunérations sont souvent plus faible pour les femmes que pour les hommes.
La socialisation différentielle fille/ garçon repose en partie sur des stéréotypes, c’est à dire une opinion partagée par un groupe d’individus et qui fait office de jugement. Michelle Obama, a dit: « il est tentant de s’accrocher à ses stéréotypes, on se sent ainsi rassuré dans sa propre ignorance. » Ainsi, les multiples travaux des sociologues qui se sont penchés sur ce sujet ont montré que les rôles attendus des garçons et des filles sont différents. Le rôle c´est l´ensemble des comportements attendus d’un individu selon sa position sociale. On dit aussi, selon son statut dans le groupe auquel il appartient. Cette socialisation genrée a deux conséquences lourde de sens dans la vie future des hommes et des femmes:
- une répartition sexuelle des tâches dans les ménages qui se fait au détriment des femmes.
– une poursuite d’étude et des métiers différenciés selon le sexe.
II. Configurations familiales et conditions de socialisation des enfants
La famille n’est pas une entité homogène qui impacte de la même façon les enfants.
A. Des configurations familiales variées …
Un petit détour ethnologique, nous rappelle qu’il existe une grande variété de formes familiales, avec des rôles forts différents selon les cultures. Par exemple chez les Mossos, dans le sud-ouest de la Chine, le père n’existe pas et c’est le frère de la mère qui joue un rôle d’éducation. L’étude de la socialisation nécessite donc de bien connaître le contexte. De même en France, la famille nucléaire représente la majorité des foyers. Mais le type de famille s’est fortement diversifié avec les séparations et les divorces. Ainsi, il existe de plus en plus de familles recomposées et de familles monoparentales. Cela impacte automatiquement la socialisation.
B. … qui modifient les conditions de socialisation des enfants et des adolescents.
La configuration familiale
Bernard Lahire, sociologue français né en 1963, nous rappelle qu’il est nécessaire de mieux cerner la configuration familiale. Par exemple la forme familiale va jouer un rôle dans la socialisation de l’enfant. S’agit-il d’une famille nucléaire ? Monoparentale ? Recomposée ? La fratrie va également impacter la socialisation de l’enfant. Ainsi, un regard intrafamilial peut montrer des divergences dans la socialisation, de l’ainé(e), du cadet(e) ou du plus petit, sans parler bien sûr de la composition garçons-filles de la fratrie. De même la famille élargie peut jouer un rôle.
Tableaux de famille
Bernard Lahire, analyse dans son ouvrage Tableaux de familles, les différences de réussites scolaires d’enfants en CE2 qui sont issus de milieu populaire. Il analyse le milieu familial et montre que les différences de réussite scolaire sont liées à l’hétérogénéité intrafamiliale. Par exemple, une grande sœur qui aide son petit frère à faire ses devoirs à la maison, peut changer le rapport de l’enfant à l’école et plus généralement à la culture. Idem pour les grands-parents. Si ils jouent un rôle dans l’éducation, ils peuvent avoir un impact important. Ou encore un voisin, un ami, un professeur des écoles particulièrement formateur…. La pluralité des socialisations vont permettre de mieux expliquer les trajectoires individuels qui parfois sont improbables comme nous le verrons ci-dessous.
III. Une socialisation secondaire qui renforce ou modifie la socialisation primaire
A. La socialisation primaire et secondaire
La socialisation primaire
Qu’est-ce que c’est ? Ces deux concepts sont issus des travaux pionniers des sociologues américains P. Berger et T. Luckmann . Dans ‘La construction sociale de la réalité’ (1966) ils précisent que la socialisation primaire c’est pendant l’enfance et l’adolescence. C’est le moment où l’enfant absorbe les normes et les valeurs du monde qui l’entoure. C’est le temps de la construction de l’identité sociale. Par la suite, dans le monde de nouvelles situations, de nouvelles institutions vont jouer un rôle et vont compléter, faire évoluer ou renforcer la socialisation primaire.
La socialisation secondaire
La socialisation secondaire c’est la socialisation à l’âge adulte. La vie en couple va notamment confronter des habitudes de vie différentes. La socialisation conjugale est justement l’apprentissage de valeurs et normes qui se mettent en place au cours des interactions quotidiennes de la vie de couple. D’autre part, le monde de l’entreprise ou de l’administration, les collègues de travail, vont faire évoluer les valeurs et les normes de l’individu. Il pourra alors s’adapter à son nouvel entourage. C’est la socialisation professionnelle. De la même façon, les représentations politiques transmis par la famille et l’entourage pendant l’enfance vont se modifier à l’âge adulte. La socialisation politique c’est justement, l’ensemble des valeurs et normes qui orientent les perceptions, représentations et engagements politiques des individus.
B. Une socialisation secondaire attendue …
La socialisation secondaire est souvent une adaptation ou un renforcement de la socialisation primaire. Ainsi, l’enfant avait des aptitudes à l’école et pendant son parcours professionnel il va montrer également certaines aptitudes ou compétences. On retrouve dans les travaux sociologiques de nombreuses enquêtes qui montrent une certaine forme de reproduction sociale c’est à dire une transmission des statuts sociaux entre génération. L’étude de la socialisation conjugale, permet notamment de révéler que le poids de la socialisation primaire vient s’immiscer dans la construction au jour le jour des répartitions des tâches, des rôles attendus de l’un et de l’autre etc. De la même manière, les sociologues du champ politique comme la sociologue française Anne Muxelle, montre que l’orientation du vote qui semble personnel est dans un premier temps fortement dépendante des habitudes politiques des parents. Cela va évoluer avec les parcours diversifiés dans le monde professionnel, associatif ou tout simplement avec les nouvelles connaissances.
C. … mais parfois improbable
Un trajectoire improbable
On peut dire qu’une personne a réalisé un trajectoire improbable, lorsque le changement de position sociale réalisé par l’individu était statistiquement peu prévisible. C’est justement ces types de parcours différent, auquel s’intéressent des sociologues comme Bernard Lahire. En effet, dans nos mondes modernes, l’individu est soumis à une pluralité d’influences sociales. Il est influencé par sa famille, son milieu environnant au cours de sa formation à l’école, dans un club sportive, ou autres.
Une socialisation anticipatrice
Mais parfois, il peut y avoir aussi des ruptures, des changements de parcours. Cela peut être lié à une socialisation anticipatrice de l’individu. Ainsi l’individu va acquérir volontairement des valeurs, normes, des pratiques et manières de faire penser ou agir propre à un groupe de référence. un groupe de référence c’est à dire un groupe auquel l’individu se réfère pour les normes, les valeurs, la personnalité. Ainsi, le sociologue Didier Eribon, dans son ouvrage Retour à Reims, nous montre les efforts qu’il a réalisés sur sa façon de parler, sur ses connaissances, pour faire une carrière universitaire.
Des évènements inattendus
Mais les trajectoires improbables peuvent être aussi le fruit d’évènements inattendus, de rupture biographiques. Illustrons cela avec l’exemple suivant : des enfants d’un milieu peu favorisé accèdent à Sciences Po (vidéo) grâce au concours réservé. Ce document vidéo permet de comprendre que le nouveau mode de sélection des candidats à Science Po va permettre de modifier le parcours scolaire et professionnel de certaines personnes, se faisant cela va transformer l’identité de certaines personnes.
Conclusion
Au terme de cet article, tu comprends mieux ce fameux processus de socialisation qui explique tant de pratiques sociales vécues au quotidien. Maintenant que ‘tu sais’, je compte sur toi, pour diffuser ces idées à ceux qui malheureusement ne savent pas.
MAJ décembre 2022 @ Philippe Herry