Des cadres d’entreprises qui lâchent leurs carrières pour se lancer dans l’agriculture bio. Des personnes de milieu modeste qui font des carrières politiques improbables comme Monsieur Monory ou Monsieur Bérégovoy. Comment expliquer certains parcours non attendus ? Il faudra tout d’abord nous replonger dans les étapes de la construction sociale de l’individu, avant d’envisager d’analyser la socialisation secondaire et les parcours improbables.
Des notions essentielles du programme (définies dans l’article) : socialisation, socialisation primaire et secondaire, agents de socialisation, norme, valeur, rôle, configuration familiale, socialisation différentielle, genre,
I. La construction sociale des individus et les différences de comportement
A. Une socialisation socialement située …
En reprenant les écrits de la sociologue française contemporaine Muriel Darmon, on peut considérer que la socialisation c’est ” l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit, Dans la société dans laquelle il vit, l’individu va apprendre, intérioriser, incorporer, intégrer, des façons de faire, de penser et d’être qui sont socialement situés.”
Comme nous le décrit Muriel Darmon, on peut distinguer plusieurs étapes dans le processus de socialisation.
1e étape. L’apprentissage ou l’acquisition des connaissances, des modèles, des façons de faire et de penser, des valeurs et des normes de son entourage . Il existe des modalités diverses qui conduisent à la construction de l’identité de l’individu.
Illustrons cette étape à travers. Le père souhaite que son enfant finisse toute son assiette. Il peut utiliser alors 3 registres:
. imitation le père va finir son assiette pour que son enfant l’imite
. injonction (des règles) le père peut, plus ou moins subtilement, contraindre le fils à finir son assiette
. interaction par le dialogue, l’écoute, …le fils va comprendre qu’il faut finir son assiette
A travers trois registres différents, le fils va alors saisir l’importance de la norme: ‘finir sa soupe’ qui correspond à une valeur ‘ne pas gaspiller de la nourriture’. L’injonction correspond à une éducation contrôlée par le père se fait par inculcation. Autrement dit la norme est imposée, elle est explicite et l’enfant s’y soumet. Alors que Emile Durkheim, le célèbre sociologue français considéré comme un des pères de la sociologie, insiste sur l’éducation comme une contrainte forte de la famille ou de l’école permettant d’acquérir les normes et les valeurs, le psychologue suisse Jean Piaget va plus insister sur le caractère actif de l’individu qui se socialise. Il va ainsi insister sur les registres de l’imitation et l’interaction. L’imitation est bien sûr un registre fondamental, car cela se joue au quotidien, et c’est en grande partie de cette façon que les enfants vont se socialiser. Cette nécessite de reproduire les pratiques et les façons de faire observées, poussent d’ailleurs les tout-petits à reproduire les rôles observés en jouant ‘au papa et à la maman’.
Les valeurs correspondent aux idéaux auxquels adhèrent les membres d’une communauté alors que les normes sont les règles de conduite en société.
Avant d’aller plus loin je te conseille d’illustrer valeurs et normes par des exemples précis. Tu peux éventuellement revoir l’exercice proposé en seconde dans ce chapitre
2e étape. L’intériorisation des éléments culturels ou plus encore l’incorporation
Autrement dit, l’individu va s’approprier les attitudes propres au groupe dans lequel il évolue. Les façon de parler, de manger, de se comporter … l’être va se « fabriquer » socialement. Cela va s’imprimer de façon inconsciente dans les esprits mais aussi dans les corps, c’est pourquoi on parle d’ incorporation.
3e étape. L’intégration de la personne à son environnement social
Grâce aux éléments culturels intériorisé l’individu va pouvoir communiquer, échanger, juger. Il va pouvoir partager ou rejeter des idées, des sentiments, des goûts, des aspirations… des valeurs et des normes. Bref, l’individu va se sentir intégré à la société. Il s’agit ici d’ailleurs d’un aspect essentiel de la cohésion sociale d’une société. In fine, la socialisation permet la maintenance d’un ordre social et facilité le contrôle social des individus. Nous employons ces termes sans jugement de valeur positif ou négatif.
Revenons sur l’expression employée par Muriel Darmon de “socialisation socialement située”. En effet, selon la culture, les valeurs dominantes de la société dans laquelle on est, nous n’allons évidemment pas être socialisé de la même façon. Tu peux retrouver de nombreuses illustrations sociologiques ou anthropologiques.
B. … à l’origine de différences de comportements, de préférences ou d’aspirations
La socialisation différentielle, c’est le processus par lequel différents individus acquièrent des normes, des valeurs et ont des comportements différents. Nous allons tout d’abord considérer la différences de socialisation selon le milieu social d’origine puis nous étudierons le rapport au genre.
Tous les goûts sont dans la nature, Cet adage bien connu nous laisse à penser que le goût est propre à chacun, alors même qu’il s’agit d’une construction sociale. C’est ce que révèle notamment Pierre Bourdieu dans La Distinction, 1979. Ainsi, les pratiques sportives, les loisirs, la fréquentation des musées, le goût musical sont étroitement corrélés au milieu social d’origine. Des analyses plus récentes, notamment celle du sociologue français Bernard Lahire, complète cette analyse en montrant l’éclectisme culturel des milieux favorisés, qui ont plutôt une culture omnivore que d’autres milieux sociaux non pas. Ainsi la fréquentation de l’opéra et l’écoute de rap, le jazz et la musique classique sont des références musicales qui ne posent pas problème.
D’autre part, la famille véhicule certaines dispositions, c’est à dire des façons de faire, de penser, d’agir qui vont s’incrire de façon inconsciente dans l’esprit et façonner des aspirations futures. Cela aura des conséquences sur les poursuites d’étude. Ainsi, les tableaux statistiques nous montrent que les enfants de milieu favorisé sont plus nombreux en pourcentage à poursuivre des études longues que les enfants de milieu modeste. Les travaux de Pierre Bourdieu montrent ainsi le poids important du capital culturel dans la réussite scolaire. Mais Bernard Lahire, sociologue français contemporain, nous précise cependant que le comportement scolaire ne peut se comprendre qu’en analysant d’une façon plus fine les configurations familiales. c’est ce que nous verrons ci-dessous. Mais avant cela, étudions une autre socialisation différentielle qui induit des comportement et aspirations différents; la socialisation genrée. On emploie de plus en plus le concept de genre au lieu de sexe. Le sexe est l’élément biologique qui différencie Homme/Femme mais le genre est la construction sociale de l’identité sexuelle.
Les sociologues du genre étudie la construction de l’identité d’un garçon et d’une fille, les persistances d’inégalité sociale ou même économique (même niveau de diplôme, les rémunérations sont souvent plus faible pour les femmes que pour les hommes.
La socialisation différentielle fille/ garçon repose en partie sur des stéréotypes, c’est à dire une opinion partagée par un groupe d’individus et qui fait office de jugement. Michelle Obama, a dit: “il est tentant de s’accrocher à ses stéréotypes, on se sent ainsi rassuré dans sa propre ignorance.” Ainsi, les multiples travaux des sociologues qui se sont penchés sur ce sujet ont montré que les rôles attendus des garçons et des filles sont différents. Le rôle c´est l´ensemble des comportements attendus d’un individu selon sa position sociale ou dit autrement, selon son statut dans le groupe auquel il appartient. Cette socialisation genrée a deux conséquences lourde de sens dans la vie future des hommes et des femmes:
-une répartition sexuelle des tâches dans les ménages qui se fait au détriment des femmes.
– une poursuite d’étude et des métiers différenciés selon le sexe.
II. Configurations familiales et conditions de socialisation des enfants
La famille n’est pas une entité homogène qui impacte de la même façon les enfants. Ainsi, Bernard Lahire, nous rappelle qu’il est nécessaire de mieux cerner la configuration familiale Par exemple la forme familiale va jouer un rôle dans la socialisation de l’enfant. S’agit-il d’une famille nucléaire ? Monoparentale ? Recomposée ? La fratrie va également impacter la socialisation de l’enfant. Ainsi, un regard intrafamilial peut montrer des divergences dans la socialisation, de l’ainé(e), du cadet(e) ou du plus petit, sans parler bien sûr de la composition garçons-filles de la fratrie. De même la famille élargie peut jouer un rôle.
Le sociologue français Bernard Lahire, analyse dans son ouvrage Tableaux de familles, les différences de réussites scolaires d’enfants de milieu populaire.
III. De la socialisation de l’enfant à la socialisation de l’adulte:
A. La socialisation primaire et secondaire
Qu’est-ce que c’est ? Ces deux concepts sont issus des travaux pionniers des sociologues américains P. Berger et T. Luckmann . Dans ‘La construction sociale de la réalité’ (1966) ils précisent que la socialisation primaire c’est pendant l’enfance et l’adolescence. C’est le moment où l’enfant absorbe les normes et les valeurs du monde qui l’entoure. C’est le temps de la construction de l’identité sociale.
Par la suite, dans le monde adulte le contact avec des institutions plus spécialisées (l’entreprise ou l’administration, les associations, les lieux de parents …) vont compléter, faire évoluer ou renforcer la socialisation primaire.
La socialisation secondaire c’est la socialisation à l’âge adulte.
B. Une socialisation secondaire attendue …
La socialisation secondaire est souvent une adaptation ou un renforcement de la socialisation primaire. Ainsi, l’enfant avait des aptitudes à l’école et pendant son parcours professionnel il va montrer également certaines aptitudes ou compétences. On retrouve dans les travaux sociologiques de nombreuses enquêtes qui montrent une certaine forme de reproduction sociale c’est à dire une transmission des statuts sociaux entre génération. L’étude de la socialisation conjugale, c’est à dire cette phase décisive de la vie en couple, permet ainsi de révéler que le poids de la socialisation primaire vient s’immiscer dans la construction au jour le jour des répartitions des tâches, des rôles attendus de l’un et de l’autre etc. De la même manière, les sociologues du champ politique comme la sociologue française Anne Muxelle, montre que l’orientation du vote qui semble personnel est dans un premier temps fortement dépendante des habitudes politiques des parents. Cela va évoluer avec les parcours diversifiés dans le monde professionnel, associatif ou tout simplement avec les nouvelles connaissances.
C. … mais parfois improbable
Mais parfois, il peut y avoir des ruptures, des changements de parcours heureux ou malheureux.
Étude de cas: des enfants d’un milieu peu favorisé accèdent à Sciences Po (vidéo). Ce document vidéo permet de comprendre que le nouveau mode de sélection des candidats à Science Po va permettre de modifier le parcours scolaire et professionnel de certaines personnes, se faisant cela va transformer l’identité de certaines personnes.
Les modifications de la socialisation primaire, peuvent aussi s’expliquer par la volonté d’un individu de s’identifier à un groupe de référence. La personne qui est identifiée à un groupe d’appartenance , groupe auquel appartient l’individu, va tenter de se référer à un autre groupe, un groupe de référence c’est à dire un groupe auquel l’individu se réfère pour les normes, les valeurs, la personnalité . Ce terme est issu des travaux du sociologue fonctionnaliste américain R.K Merton (1910/1994)
Au terme de cet article, tu comprends mieux ce fameux processus de socialisation qui explique tant de pratiques sociales vécues au quotidien. Maintenant que ‘tu sais’, je compte sur toi, pour diffuser ces idées à ceux qui malheureusement ne savent pas.
MAJ décembre 2020 @ Philippe Herry